Quelques citations lumineuses de la non moins lumineuse Simone Weil, dans ses correspondances épistolaires avec le Père Perrin :
Il y a deux langages tout à fait distincts, quoique composés des mêmes mots, le langage collectif et le langage individuel. Le Consolateur que le Christ nous envoie, l'Esprit de Vérité, parle selon l'occasion l'un ou l'autre langage, et par nécessité de nature il n'y pas concordance. [...] Tout le monde sait qu'il n'y a de conversation vraiment intime qu'à deux ou trois. Déjà si l'on est cinq ou six le langage collectif commence à dominer. C'est pourquoi quand on applique à l'Eglise la parole "Partout où deux ou trois d'entre vous seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux", on commet un complet contre-sens. Le Christ n'a pas dit deux cents, ou cinquante, ou dix. Il a dit deux ou trois. Il a dit exactement qu'il est toujours en tiers dans l'intimité d'une amitié chrétienne, l'intimité du tête à tête."
Pour que l'attitude actuelle de l'Eglise soit efficace et pénètre vraiment, comme un coin, dans l'existence sociale, il faudrait qu'elle dise ouvertement qu'elle a changé ou veut changer. Autrement, qui pourrait la prendre au sérieux, en se souvenant de l'Inquisition ? Excusez-moi de parler de l'Inquisition ; c'est une évocation que mon amitié pour vous, qui à travers vous s'étend à votre Ordre, rend pour moi très douloureuse. Mais elle a existé. Après la chute de l'Empire romain, qui était totalitaire, c'est l'Eglise qui la première a établi en Europe, au XIIIe siècle, après la guerre des Albigeois, une ébauche de totalitarisme. Cet arbre a porté beaucoup de fruits. Et le ressort de ce totalitarisme, c'est l'usage de ces deux petits mots : anathema sit. C'est d'ailleurs par une judicieuse transposition de cet usage qu'ont été forgés tous les partis qui de nos jours ont fondé des régimes totalitaires. C'est un point d'histoire que j'ai particulièrement étudié.
Je n'ai besoin d'aucune espérance, d'aucune promesse pour croire que Dieu est riche en miséricorde. Je connais cette richesse avec la certitude de l'expérience, je l'ai touchée. Ce que j'en connais par contact dépasse tellement ma capacité de compréhension et de gratitude que même la promesse de félicités futures ne pourrait rien y ajouter pour moi ; de même que pour l'intelligence humaine l'addition de deux infinis n'est pas une addition.
Réflexion sur le bon usage des études scolaires en vue de l'amour de Dieu :
La clef d'une conception chrétienne des études, c'est que la prière est faite d'attention. C'est l'orientation vers Dieu de toute l'attention dont l'âme est capable. La qualité de l'attention est pour beaucoup dans la qualité de la prière. La chaleur du coeur ne peut pas y suppléer. Seule la partie la plus haute de l'attention entre en contact avec Dieu, quand la prière est assez intense et pure pour qu'un tel contact s'établisse ; mais toute l'attention est tournée vers Dieu. Les exercices scolaires développent, bien entendu, une partie moins élevée de l'attention. Néanmoins, ils sont pleinement efficaces pour accroître le pouvoir d'attention qui sera disponible au moment de la prière, à condition qu'on les exécute à cette fin et à cette fin seulement. Bien qu'aujourd'hui on semble l'ignorer, la formation de la faculté d'attention est le but véritable et presque l'unique intérêt des études. La plupart des exercices scolaires ont aussi un certain intérêt intrinsèque ; mais cet intérêt est secondaire. Tous les exercices qui font vraiment appel au pouvoir d'attention sont intéressants au même titre et presque également.
Les certitudes de cette espéce sont expérimentales. Mais si l'on n'y croit pas avant de les avoir éprouvées, si du moins on ne se conduit pas comme si l'on y croyait, on ne fera jamais l'expérience qui donne accès à de telles certitudes. Il y a là une espèce de contradiction. Il en est ainsi, à partir d'un certain niveau, pour toutes les connaissances utiles au progrès spirituel. Si on ne les adopte pas comme règle de conduite avant de les avoir vérifiées, si on n'y reste pas attaché pendant longtemps seulement par la foi, une foi d'abord ténébreuse et sans lumière, on ne les transformera jamais en certitudes. La foi est la condition indispensable.