Un livre au titre séduisant, doté d'une aura aussi prestigieuse que sulfureuse, dont le postulat de départ est à même de séduire tout jeune homme (car comme dit ma mère, c'est de la littérature pour garçon, et je dois lui donner raison ) dont la soif d'aventures et d'ailleurs ne peut se combler autrement que par la lecture de ce type de romans (et ce n'est pas pour leur jeter la pierre, loin de moi cette idée, j'ai moi même mis la main sur ce livre précisément à ce motif ).
Il est vrai que ce court roman a tout pour plaire sur le papier, d'autant que filiation avec l'oeuvre de Coppola laisse augurer le meilleur.
Malheureusement, la progression du récit et le style de celui-ci sont à l'image du vapeur cabossé qui progresse avec une extraordinaire lenteur et de terribles difficultés dans l'eau fangeuse du grand fleuve. Ce qui est ma foi assez rebutant, le flou artistique étant parfois presque total. A ce niveau, on pourrait sans doute parler de parti-pris, mais, et c'est peut être la traduction qui lui porte préjudice, "Au coeur des ténèbres" est empli de lourdeurs et de figures de style qui sonnent faux ou creux, du moins à mes yeux, une forme de romantisme un peu mièvre et superficiel.
Néanmoins, la prémisse de l'intrigue est diablement audacieuse et subtile, d'autant plus que les motivations de l'auteur ne sont jamais proprement nommées, et c'est tout à fait honorable de sa part de nous avoir épargné cette lourdeur et de nous laisser trouver nous même le sens de cette histoire certes pas palpitante à tous les points de vue, mais valable.
Je vois ce roman comme une forme d'enquête sur l'horreur, au delà des concepts moraux de bien et de mal; L'introspection, symbolisée par la remontée du fleuve dont le nom n'est jamais cité, conduirait à voir en dernier lieu l'horreur qui est tapie en chacun de nous, même dans le meilleur des hommes, qui est aussi le pire (Kurtz). Et par la même occasion ce roman traite aussi de la fascination pour l'horreur vécue, car "surréelle", sourde, horreur car elle même incompréhensible et absurde à celui qui n'en possède pas les données d'interprétation, et les agissements de Kurtz quant à eux s'apparentent à une horreur pure, dans toute l'immensité de son absurdité, nettoyée de tout contexte qui pourrait l'expliquer. De même, Kurtz, c'est l'homme qui n'en est plus un, qui en voulant surpasser son humanité et s'élever s'est vu déchoir de son humanité pour devenir un démon à l'aura surnaturelle.
Pour ces raisons là, et pour son final grandiose (je ne parle pas de la toute dernière scène qui quoique nécessaire n'a pas ce degré d'intensité), "Au coeur des ténèbres" est un ouvrage qui vaut la peine d'être consulté, et de passer au dessus de son style quelque peu rébarbatif.