Je suis actuellement pris d'une obsession : faire ma généalogie. Ou plutôt, par l'exercice qui consiste à explorer les archives de l'état civil, à la recherche des actes de naissances, mariages et décès de mes ancêtres, en remontant parfois à 2, 3,4 voir 5 siècle quand j'ai de la chance. Cet exercice est fastidieux, et finalement assez vain (je ne saurais jamais vraiment qui était ces personnages dont je vois le nom apparaître, s'unir à un autre puis disparaître sous la plume de curé ou de maires). Mais à la lumière de cet exercice, je comprend aisément le plaisir que dois prendre jaenada de travailler un matériau bien plus récent, dont les traces donnent sur des pistes effectives. Et surtout, je prend la mesure du travail titanesque que cela représente.


Comme pour son précédent roman, La Serpe, où il éclusait les archives d'avocat, de justice, de police, de presse, de gouvernement... pour tirer au clair un crime mystérieux dans le Périgord en pleine France occupée ; ici, Jaenada s'attaque à l'affaire Taron/Léger.


Nous sommes dans les années 60, la France que nous connaissons, ses médias, son rapport aux faits divers balbutient leur grandes règles qui constitueront les fondations de ce que nous connaissons aujourd'hui. Au milieu de ce tumulte de société du spectacle naissant, un fait divers sordide : un jeune enfant disparaît et est retrouvé mort le lendemain matin dans un forêt à quelques kilomètre de là. Un enragé se met à inonder la presse de lettres ignobles, adressé à toutes et tous et notamment aux parents de l'enfant. L'étrangleur (puisque c'est ainsi qu'il se fait nommer) prend goût au lumières de la presse, qui (peu scrupuleuse) l'en abreuve toujours plus. Mais l'ivresse gagne l'étrangleur, qui se fait attraper, juger et condamner puisqu'il reconnaît le crime. Lucien Léger (puisque c'est lui), jeune homme banal, infirmier psychiatrique, se retrouve propulsé en prison, sans savoir qu'il deviendra le plus ancien prisonnier de France à un moment de sa vie. Mais avant ça, il revient sur ses propos, ce n'est pas lui, tout ceci n'est qu'une machination (de qui, et bien c'est compliqué (tout est compliqué dans cette histoire), mais cette question aura plusieurs réponses au cours de l'histoire).


Les différentes enquêtes auront beau avoir lieu, aucune version alternative ne parviendra à supplanter la version incriminant Lucien Léger. Pour autant, aucune version ne sera totalement absurde non plus et toute auront leur part de plausibilité.


C'est dans ce doute (ces doutes) que va se plonger Jaenada, pour nous présenter la complexité de cette histoire, la part d'ombre de chaque personnage qui passe au gré des PV ou brèves de presse. Gare à vous si vous n'avez que croisé le regard de Leger au cours de votre vie, si Jaenada s'en rend compte, il av éplucher votre vie de votre naissance à votre mort, en passant par le moindre brouillon de liste de course que l'histoire n'aurait pas eu le temps de faire disparaitre. Heureusement pour ces personnages qu'ils ont laissé moins de traces numériques que nous. Le Jaenada de 2060 n'aura pas assez d'une vie pour explorer les échos digitaux de notre existence.
Mais des traces, chaque « monstre » en a laissé malgré tout quelques unes, et aucune ou presque n'échappe à l’œil aiguisé de notre enquêteur.


Ainsi, comme dans la Serpe, l'auteur commence par nous présenter l'histoire tel que la presse, la justice ou les archives publiques nous permet de nous en souvenir. Accablant pour Léger. Mais ensuite, Jaenada endosse son costume d'avocat de la défense et il va nous montrer que si on épluche consciencieusement le dossier, la culpabilité de Léger n'est plus si certaine. Les parents éplorés sont loin d’être tout blanc. L'ami/mentor de Léger est-il aussi aidant qu'on veut nous le faire croire ? Solange, l'épouse de l'étrangleur n'est-elle que cet ectoplasme translucide dont on garde le souvenir ?
Chacune de ses hypothèse va être décortiqué, source à l'appui. Et des sources, il y en a. Assez pour remplir plus de 750 pages d'un épais roman. Et encore, il en laisse parfois un peu de côté.


Mais contrairement à la Serpe, où l'auteur parvenait à nous proposer une version alternative qui faisait réellement contrepoids à la version officiel ; ici, la multiplication des hypothèses, leur caractère intriqué, leur côté toujours légèrement farfelue ; la fâcheuse tendance de Léger à changer de version toutes les 2 déclarations... bref la nébulosité de cette affaire n'arrange pas la mission de Jaenada qui nous abreuvent jusqu'à plus soif d'hypothèse alternatives sans jamais arriver à nous donner une version pleinement convaincante de l'absence de culpabilité de Léger (qu'il dit lui même être improuvable, puisque Léger est coupable (mais pas forcément de ce que l'on croit)).


Finalement, c'est là je pense la force du roman. Nous montrer que la vérité de la justice n'est qu'une vérité. Que les monstres ne sont pas forcément ceux que l'on croit. Que cette époque trouble a enfanté de plus d'un monstre, et que Léger n'était peut être pas le pire.


La plume de jaenada reste assez fidèle à celle qu'il avait dans la Serpe. Mélange de travail consciencieux de moine copiste, d'enquêteur acharné et de blagueur débonnaire. Le style est agréable, on avance sans se lasser dans ces méandres de noirceur, agrémenté de pointes d'humour (j'ai souvent rit) soit sur l'histoire, soit sur les déboires de Jaenada (petite bulle d'humour, alors même qu'il lui arrive parfois des choses qui ne prête pas à rire).
On peut parfois regretter le partie pris manifeste, l'envie de redorer le blason de Léger alors même qu'il n'est pas le dernier des monstres dans cette histoire. On voit bien, à la manière que sont introduit certains personnage, sur quels point jaenada appui, que l'objectivité n'est pas toujours au rendez-vous. Mais l'auteur ne s'en cache pas, entretenant cependant le trouble en exposant avec le même sérieux et le même aplomb les faits avérés et ses hypothèses les plus farfelus.


J'ai fini ma lecture rincé, nauséeux d'hypothèses, frustrés (mais comme l'auteur) de ne rien comprendre à cette histoire sinon qu'on ne comprend rien et que tout est plus complexe qu'il n'y paraît. Contrairement à la Serpe, je n'ai aucune envie de relire ce bouquin pour mieux voir ce qu'il y a à voir suite aux révélations, car je pense que je n'en aurais pas une lecture bien différente de cette première tentative. Mais pour autant, je suis heureux d'avoir traversé cette histoire, et plus encore d'avoir eu pour guide jaenada et son style si particulier, complet, sérieux et amusant.

Homegas
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le 19 mars 2022

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