En 1964, un petit Parisien de onze ans, Luc Taron, disparaît et est retrouvé mort dans une forêt de proche banlieue. Un corbeau, s’identifiant comme « L’Etrangleur », revendique son assassinat dans une série de très étranges courriers aux médias, à la police et aux parents. Arrêté au bout d’un mois, l’homme, qui s’appelle Lucien Léger et est infirmier, avoue le meurtre et est condamné à la réclusion à perpétuité.


Il avait vingt-sept ans au moment des faits. Il ne sortira de prison que quarante-et-un an plus tard, au terme de la seconde détention la plus longue d’Europe. Revenu sur ses aveux au milieu de mille contradictions, il ne démordra plus jamais de son innocence. Ce n’est qu’en 2012, quatre ans après sa mort, que des doutes quant à sa culpabilité sont émis par deux journalistes, dans un livre évoquant un Lucien Léger qui se serait faussement accusé par besoin pathologique de reconnaissance. Philippe Jaenada revient sur cette affaire, et, après quatre ans d’enquête et d’écriture, nous livre sa propre analyse et ses multiples interrogations. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les zones d’ombre sont légion dans cette histoire qui n'en finit pas d'ébahir son lecteur...


Le travail de Philippe Jaenada est impressionnant d’exhaustivité et de précision. Il s’est rendu sur tous les lieux, a épluché tous les documents, s’est entretenu avec toutes les personnes pouvant apporter un éclairage sur cette histoire vraie, dont il apparaît que l’on n’a très opportunément retenu que le versant qui arrangeait les protagonistes de l’époque. Et si la première partie du récit, consacrée à une restitution fidèle et minutieuse des événements connus et retenus par les médias, la police et la justice, stupéfie par l’apparence monstrueusement délirante des actes et des comportements de Lucien Léger, c’est une version bien différente, dissipant cette fois toute impression de folie et de perversion, mais menant à une consternation tout autant sidérée face à la probabilité de l’erreur judiciaire, que la suite du livre s’emploie à mettre au jour.


Contre-enquête et réexamen du moindre détail, complétés d’une exploration tristement édifiante de cette histoire vue par la malheureuse épouse de Lucien Léger, semble-t-il indûment internée en asile psychiatrique, ont tôt fait de nous convaincre, à défaut de preuves opposables à des protagonistes aujourd’hui décédés, que rien dans cette affaire n’est conforme à ce que l’on a bien voulu en retenir, et que les plus coupables, les plus fous et les plus monstrueux, n’y sont sans doute pas ceux que l’on a condamnés et enfermés.


Minutieuse, exhaustive, l’investigation de Philippe Jaenada nous tient en haleine sur près de huit cent pages, entre étonnement, indignation et consternation, mais aussi, pour notre plus grand plaisir, de sourires en éclats de rire : commentaires railleurs, digressions pleines d’auto-dérision faisant écho à l’actualité générale ou personnelle de l’auteur, viennent plaisamment alléger le texte, au gré de drôles de parenthèses imbriquées comme des poupées russes.

C’est donc presque autant amusé par les anecdotes et le style, que tristement troublé par cette justice aux allures de loterie dénoncée par l’un des avocats de Lucien Léger, par ces apparences dont notre société tend souvent trop hâtivement à se satisfaire, et par le triste sort de ce couple condamné, manifestement à tort, à cette mort lente qu’a été leur détention vraiment à perpétuité - en prison pour lui, en asile psychiatrique pour elle -, que l’on s’installe longuement dans cette lecture coup de coeur.


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le 15 juin 2022

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