Depuis la parution de L'immeuble Yacoubian, il est devenu impensable, pour nombre de ses lecteurs, de rater un seul roman de Alaa El Aswany. En plaçant l'action d'Au soir d'Alexandrie dans une ville si souvent célébrée pour son ouverture au monde, pour sa tolérance et pour son art de vivre, l'auteur rejoint de nombreux écrivains populaires en Égypte et, ce n'est pas rien, le plus grand cinéaste du pays, Youssef Chahine, dont trois de ses films contiennent le nom d'Alexandrie dans leurs titres. La période concernée est celle de Gamal Abdel Nasser, dont le régime s'est durci peu à peu au début des années 60, dérivant vers une dictature, dont la surveillance des présumés ennemis intérieurs, forcément suppôts de l'impérialisme et du capitalisme étrangers, a constitué constitué l'une des bases, en s'appuyant sur la propagande et le complotisme. A lire Au soir d'Alexandrie, l'on se croirait parfois dans la RDA, avec sa tristement célèbre Stasi, mais il est vrai que toutes les dictatures se ressemblent peu ou prou par leurs méthodes. C'est un roman choral de la plus belle eau que nous propose l'auteur égyptien désormais exilé en Amérique, avec une galerie de personnages inoubliables, représentatifs de l'origine diverse des Alexandrins de l'époque. A travers leur destin, El Aswany décrit un phénomène que l'on connaît bien : un nationalisme exacerbé et une xénophobie affirmée qui suscitent la peur et manipulent le peuple. Le roman commence dans une douce atmosphère où l'amitié et l'alcool coulent dans l'harmonie de réunions privées, organisées nuitamment, où les protagonistes s'opposent, sans se disputer méchamment, autour de tous les sujets possibles et notamment la manière dont Nasser dirige le pays. Au fil des pages, et avec d'autres personnages, l'auteur enrichit sa palette de nouvelles nuances, dans un registre plus dramatique et sur un tempo de thriller. Le style est limpide, d'une apparente simplicité, chose la plus difficile à obtenir. La nostalgie est au rendez-vous mais plus importante encore est la leçon politique, l'avertissement contre les extrémismes, le nationalisme exacerbé et le fameux mythe du grand homme libérateur censé redonner toute sa fierté à un pays et à ses "vrais" habitants.