Irrévérencieux mais poli et fort correctement dans l’air du temps

Quinze ans après son premier livre, Mon grand écrivain, consacré à sa relation avec Alain Robbe-Grillet, Emmanuelle Lambert se souvient de ses débuts, déjà au contact du chef de file du Nouveau Roman, dans un récit initiatique très autobiographique qui, avec la prise de distance d’une narration à la troisième personne, interroge avec humour la place des femmes, en général et dans la sphère intellectuelle en particulier.


Nous sommes dans les années 1990. Jeune doctorante, la narratrice entame un stage chez un tout neuf et encore modeste institut qui finira par l’embaucher et par devenir une vénérable institution, et en lequel l’on n’a aucun mal à reconnaître l’IMEC, l’Institut mémoires de l’édition contemporaine, où l’auteur fut en charge des archives d’Alain Robbe-Grillet et de la préparation d’une exposition consacrée à l’écrivain et cinéaste.


Sans expérience encore mais d’autant plus prédisposée aux étonnements, la jeune femme, globalement cantonnée – parce que débutante, mais aussi parce que le mot intellectuel ne se conjugue alors guère qu’au masculin – aux tâches les plus fastidieuses et poussiéreuses de l’épluchage des archives, ronge son frein en ouvrant de grands yeux, sa déférence et son admiration pour un entourage plus âgé et expérimenté aux prises avec les ébahissements d’une lucidité dont le piquant ne se départira pourtant jamais d’un irréductible fond d’affection.


S’ensuit une galerie de portraits plein de dérision, incluant aussi bien « le Chef » que le couple Robbe-Grillet dont, à force d’inventaires et de chronologies. elle se retrouve à pénétrer la peu conventionnelle intimité, dans son Château de Normandie. Entre elle, maîtresse de cérémonie sadomasochiste, et lui dont les romans se sont peu à peu tournés vers l’érotisme jusqu’à mettre en scène inceste et pédophilie, c’est a posteriori pour la narratrice l’occasion de constater le chemin parcouru entre l’époque de ses débuts, où il ne lui fut pas si facile de trouver sa place et d’affirmer sa liberté d’être et de penser – et alors en s’attirant des commentaires du genre : « Tout de même, les filles, aujourd’hui, vous n’avez aucun respect » –, et la société de l’après #MeToo.


Irrévérencieux mais poli et dans l’ensemble fort correctement dans l’air du temps, ce texte finement ciselé autour d’une expérience somme toute très sage et bourgeoise, dans l’entre-soi d’un milieu qui admet peut-être désormais mieux les femmes mais reste profondément élitiste et codifié, a beau jouer la dérision et l’impertinence, l’on ne parvient pas vraiment à croire au vernis d’insoumission posé avec tant d’application sur ses pages. Malgré leur talent certain, c’est donc un ennui relatif qui s’empare du lecteur, frustré côté âme et tripes.


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Cannetille
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le 14 oct. 2024

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antoinegrivel
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