Publié en 1924 à titre anonyme, ce roman désopilant qui vient d’être réédité en traduction française, a été commis par un personnage surprenant : chevalier de la Couronne d’Angleterre, membre de l’Académie royale de médecine, médecin honoraire de George VI, Sir Bashford n’avait a priori pas un profil d’humoriste. Et pourtant nous avons là une petite merveille de drôlerie british, dans la lignée de ce qu’on appelle la deadpan comedy, un humour pince-sans-rire où le flegme apparent fonctionne comme ressort comique. Le héros, Augustus Carp, fils unique d’une famille bourgeoise de l’Angleterre du début du XXème siècle, s’attelle à son autobiographie afin de se poser en exemple en une période troublée où ses concitoyens « préfèrent le papillotement du cinématographe aux paraboles des apôtres ». Se présentant comme « gentleman chrétien », le jeune homme veut édifier ses semblables mais il est affecté, sans paraître s’en rendre compte, de défauts innombrables : hypocrite, présomptueux, misogyne, puritain, délateur, avare, hypocondriaque, pantouflard, procédurier, revanchard, il a l’art de se rendre insupportable auprès de tous. Traitant sa pauvre mère comme une domestique et soutenu par son père, un crapaud de bénitier autoritaire aussi imbuvable que lui, il pallie son manque de talent par des intrigues mesquines qu’il nous présente toujours sous le voile de la vertu.
Sorte de croisement entre le Tartuffe de Molière et l’affreux Ignatius Reilly de Kennedy Toole, ce personnage sentencieux et sans charme, qui se croit désigné par la Providence et s’exprime sur un ton d’une pédanterie extrême, raconte, entre autres non-aventures, comment, militant aux côtés de « l’Union antidramatique et antisaltatoire », il harcèle les spectateurs devant les théâtres pour les détourner du vice tout en les moralisant sur leur consommation d’alcool et de tabac. Un héros si agréable à détester qu’on suit ses péripéties avec une bonne humeur qui ne se dément pas tout au long du roman !