Très souvent fasciné par les rêves, leurs contenus, leurs éventuelles interprétations psychologiques, l’aspect faussement ésotérique que peuvent en tirer certaines productions culturelles, c’est avec un plaisir immense qu’au détour d’une conversation l’on m’a appris l’existence de Aurélia par Gérard de Nerval. Avant de parvenir à me procurer l’ouvrage, je cherche des informations sur l’auteur, sans rentrer ici dans les détails, il s’agit clairement d’un fort dépressif avec accès de démences, mal soigné, qui me rappelle malgré lui un certain habitant de Baltimore de la même époque, mi-XIXème siècle.
Une fois le livre en main, je dois avouer rester pantois de sa première partie. Certes, c’est techniquement court, mais il me demande un acharnement certain et m’a fortement travaillé, intellectuellement et émotionnellement. Il s’agit de la description d’un désespoir amoureux qui a un caractère définitif puisque Aurélia, l’aimée du narrateur, est décédée et que cet amour n’a jamais connu que des indices ténus en guise preuve d’existence. Mais il ne faut parfois pas plus d’une morsure pour être envenimé. D’après les notes de bas de page, je comprends avoir affaire à un texte en bonne partie autobiographique, mais cela saute aux yeux assez rapidement dans tous les cas.
La première partie de cette œuvre, que j’admets avoir du mal à catégoriser véritablement, est une description tantôt lucide tantôt onirique de la vie du personnage après la découverte de la mort d’Aurélia. Le lecteur enchaîne plusieurs phantasmes et les transitions entre les espaces-temps rêvés et ceux éveillés ne sont pas indiquées. Ainsi, il existe un flottement permanent, remettant ponctuellement les rares points de repères en question. L’écriture se déverse en un flot assez continu, les paragraphes et leurs ruptures ne marquent pas de changement de scène, de personnage, de lieu, et très souvent, ces changements interviennent au détour d’une phrase brève uniquement. Cette narration m’a régulièrement rappelé Kafka avec Le Procès et Le Château. Si elle m’a semblé plus difficile à lire cependant, ce n’est pas que l’auteur emploie un vocabulaire vraiment très exigeant (quelques accès certes, mais rien de plus qu’un auteur du XIXème), mais plutôt par la versatilité et la relative rapidité de l’enchaînement des événements. Malgré tout, cela révèle une urgence dans la rédaction qui donne accès à un certain degré de spontanéité assez rare. Certaines références sont assez fines et demandent parfois une remise en contexte soit de l’époque du Paris des années 1840-1850, soit une petite note biographique à digérer.
La deuxième partie m’a moins concernée, elle se déroule dix années après les écrits précédents, où notre narrateur part dans une quête mystique, et, comme un flagellant, il est à la recherche d’un apaisement divin, d’abord frustré qui le fait plonger dans un nouveau désespoir, puis finalement obtenu. Aussi, la première moitié de cette seconde partie semble davantage nourrie des réflexions personnelles de l’auteur, alors en Maison de « Santé », et il n’y a plus vraiment ce jeu d’aller-retour entre rêves et réalité. Le récit est celui d’un pénitent qui pense se libérer de ses maux par la pensée religieuse. Nonobstant, sa réflexion et sa présentation ont une forte propension au syncrétisme : christianisme, islam, judaïsme, hindouïsme, bouddhisme, polythéismes greco-romain, scandinaves viennent se mêler et une lecture appuyée, permet d’y voir de la cohérence, des résonances admirablement bien soulignées. Ce qui peut apparaître comme des élucubrations hérétiques, gagnent grandement en pertinence, voire incite à une seconde relecture de l’œuvre. Comme si Nerval donnait l’alphabet avec lequel il fallait lire son œuvre au cours de celle-ci.
Pour terminer, c’est un ouvrage brillant, unique parmi ce que j’ai lu jusqu’ici, et j’y vois de nombreux échos à travers de nombreuses œuvres, Kurosawa avec Yume, Poe avec son poème The Raven, Lovecraft, Chambers, le long métrage l’échelle de Jacob ou encore la récente série Midnight Mass.