J'ai découvert Nicolas Mathieu comme beaucoup de monde : avec son Goncourt, j'ai été pressé par un ami de le lire, me garantissant que cela me plairait beaucoup. Ayant grandi dans un monde plutôt rural, au sud de l'Alsace, j'ai tout de suite été saisi par le talent avec lequel Mathieu parvenait à saisir le vertige de la beauté et de l'ennui de ces contrées du Grand-Est, reproductible dans tout le spectre de la ruralité.
Aux animaux la guerre contient déjà les germes du succès à venir, avec des teintes de roman noir. Le temps de s'apercevoir que l'isolement vosgien, avec ses relents de Twin Peaks, est le décor parfait pour s'attaquer à une dimension plus politique de cette désolation. On pourrait se dire qu'il y a du Strip-Tease, dans la présentation des corps et des esprits souffrants, dans les usines qui ferment, dans les trous paumés, avec peut-être une condescendance un rien bourgeoise. Il n'en est en fait rien : à plusieurs reprises, on sent une portée plus sociale du propos, plus rageante, de cet endormissement de conte de fées qu'a su produire le capitalisme (sans aller pour autant dans des considérations zadistes et démagogiques de bas-étage).
Ce roman choral croise les destins de petites-frappes, d'assistants sociaux, d'anciens pieds-noirs (l'immigration, perçue comme la source de nos maux, se joue différemment avec ces profils : le récit débute par l'Algérie, et suit le parcours de fuyards à la libération de l'Algérie, revenant à la case-départ d'un pays dont ils ne font plus réellement partie... un destin qui est le lot de beaucoup de citoyens français considérés traditionnellement comme des migrants).
L'intrigue en elle-même n'a pas cette épaisseur que pourrait avoir un polar, et se veut davantage le récit de la fin d'une époque, de la fin de la classe ouvrière traditionnelle, du peu qui reste, avant que tout finisse par se casser la gueule.
Le livre contient des passages absolument formidables, qui créent de beaux leitmotiv avec Leurs enfants après eux (un chapitre décrit notamment une scène de footing, qui rappelle celle de la piscine dans le Goncourt : une ode au corps, avec un portrait remarquable du tragique d'inertie dont sont victimes les classes populaires). Nicolas Mathieu a le sens du détail, pour savoir dire ce qui fait mouche, dans la beauté et la laideur de la Rust Belt à la française, en tant que membre de ces hostiles terres qui connaît l'ennui des longs hivers du Far-East.