« Aux vies anecdotiques » , par la succession des poèmes qui le composent, nous offre un recueil éminemment politique, radicalement poétique.


Aux vies anecdotiques de Karima Ouaghenim est un de ces recueils de poésie dont les vers vivent et transpirent le politique, dimension qui s’exprime d’abord par la structure éditoriale qui porte le livre, les éditions Blast ; maison toulousaine fondée en 2019, qui compte au sein de son catalogue des autrices telles la regrettée Tal Piterbraut-Merx ou encore la poétesse algérienne Souad Labbize. Maison résolument indépendante et engagée – à contre-courant des groupes éditoriaux et de leurs simulacres d’engagement, nous vous en parlions ici. Cette dimension résolument politique traverse Aux vies anecdotiques et ce d’abord par les variations scripturales à l’œuvre dans le corps de ce recueil, se situant au plus près des luttes, à leur intersection, parvenant à chaque page non pas à simplement relever poétiquement la domination qu’exerce l’organisation marchande du monde sur nos existences, mais à en parcourir les fils ; de l’intime, du corps, de l’école, de la bourgeoisie, d’une certaine littérature… et c’est cette toile des dominations dont nous allons suivre le maillage.



DU CORPS D’ABORD



C’est bien à partir du corps, du corps féminin qu’est lancée cette geste poétique, tout au long du recueil on ne cessera d’y revenir, à ce corps que l’on contraint par un ensemble de procédés dits esthétiques et qui ne sont, dans les faits, qu’une emprise sur les sujets, succession de violences retournées contre soi en vue de la domestication. « Plaire, se plaire ; double esclavage. » écrivait déjà Violette Leduc en 1964 dans La Bâtarde, nous y sommes encore, sous des modalités différentes, faire couler la violence contre soi-même, dans les sujets.



Elle n’avait pas réalisé que ses poils de jambes lui permettaient
d’escalader les murets, aussi les retirait-elle. Ce rituel avait tout
des parcours ascétiques, de l’astreinte récompensée par les vents et
postillons du soleil. Elle s’y employait comme on interrompt la
germination des pommes de terre, cataplasmes de cires et de sucres
dévorant l’épiderme ; ses mains, les épluchoirs de son propre corps.
p. 31



S’exprime également dans ce court extrait les vertus de la fameuse souffrance, on connaît ça, logique judéo-chrétienne de la souffrance salvatrice – celle qui est à l’œuvre également dans le concept de travail. On le connaît le refrain ; « il faut souffrir pour être belle ».



DU RESTE ENSUITE



Contrairement à une poésie toute actuelle centrée sur l’intime et le « moi » Karima Ouaghenim parvient dans et par le poème à dépasser le stade simple (simpliste ?) du constat, c’est là que réside la force de ce Aux vies anecdotiques, ne pas en rester à ces questions ou de les relier plutôt à tout un système de domination, dépassant par les vers l’atrophie du « moi » solipsiste trop répandue.



Quand la plèbe réclame la lumière, la bourgeoisie rayonnante de vices
acclame en déplaçant le curseur : elle félicite les efforts, encourage
le désir, construit l’arène où elle dictera les règles du mérite.
Comme un enfant qu’on félicite pour son premier mot. p. 13



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le 19 mars 2022

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