Avant que j’oublie… Oui, parce que la mémoire est fragile, manipulable, influençable, fantasque, à la fois belle et terrifiante. Imparfaite, mais indispensable ; vitale, même (écrivant cela, je pense au film Memento, de Christopher Nolan).
En rédigeant Avant que j’oublie, Anne Pauly a dû mener de concert deux exercices : celui du travail de la mémoire et celui de la mise en forme de ladite mémoire ; une tâche qui requiert de tenir fermement les rênes. Ne pas trop laisser les souvenirs trop s’épancher, mais leur laisser juste ce qu’il faut d’ampleur pour que l’émotion suggérée soit forte et sereine ; et de l’autre côté, aller à la pêche aux mots qui vont s’ajuster et finalement capturer cette mémoire. Lui faire un écrin.
Roman et autobiographie sont ici intimement liés, et le mariage est une belle réussite. Car contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’est pas si facile de manier l’intime pour en faire de l’universel. Il faut du talent, pour ça. La « Lettre de Juliette » en est le meilleur exemple ; ce passage est, selon mon goût, un bien joli morceau de bravoure. L’auteur a fondu et amalgamé le réel à la technique de l’écrit comme si de rien n’était. C’est merveilleux d’authenticité. Il y a des textes que l’on aimerait avoir soi-même écrits. Avant que j’oublie est une très belle histoire sur le deuil, sur l’avenir devenu indiscernable, sur les doutes de l’amour (de sa présence ou de son absence, réelle ou fantasmée), sur la réconciliation avec soi-même et donc avec les autres, sur la transcendance des souffrances et des abandons passés, sur la colère et le ressentiment. Oui la vie est une sacrée chienlit, mais parfois, et grâce au Ciel, ce qu’elle peut être gratifiante !
©Marguerite Rothe