Homer Simpson + Bouvard et Pécuchet dans les années 1920
Années 1920, l'Amérique de la prohibition. Une ville américaine de quelques centaines d'âme, Zenith. Un agent immobilier, Georges F. Babbitt, citoyen respectable. Sa femme, grosse et négligée. Sa fille aînée, idéaliste et frigide. Son fiston, qui vient de finir le lycée pour aller à l'Université, mais ne pense que baseball et voitures, alors que son père le verrait faire du droit. Les maisons qui se ressemblent. Le darwinisme social fondé sur le salaire, les petites marques de luxe. Le désir bonhomme d'arrêter de fumer. L'enfer des réceptions, des cocktails, des repas au club des Boosters. Bref, le monde des Braves Gens. Un biotope dans lequel Babbitt se sent bien, car il a un ami vrai, Paul, avec qui il part même quelque jour avant sa famille faire du camping au bord d'un lac. Mais le jour où Paul est incarcéré après avoir tiré sur son abominable femme, le sol se dérobe sous notre héros bedonnant. La vie qu'il mène, si répétitive, à quoi bon ? Profitant d'une absence de sa femme, Babbitt commence à traîner avec une bande d'hédonistes superficiels. A boire pas mal. A songer au divorce. mais plus grave encore proférer des opinions avancées, comme de suggérer qu'un gréviste n'est pas forcément un monstre.
Heureusement, l'appendicite de sa femme va le ramener à ses opinions conservatrices, il va même rentrer dans la Ligue des Bons Citoyens (LBC), qui a un avant-goût de Mccarthysme. Et tout est bien qui finit bien. Mais quand son fils annonce, après s'être marié en cachette, qu'il veut abandonner le droit pour devenir ingénieur, Babbitt le prend à part et lui avoue que peut-être lui, au moins, pourra faire ce dont il rêve, contrairement à son père.
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Il est touchant, ce personnage d'Américain anticoco, hableur, un peu vulgaire et égrillard, souvent dupe de l'opinion dominante, mais qui surtout adore s'écouter parler. On se prend à l'aimer, même quand il truande et cherche des justifications morales. Quand il se fait le chantre du puritanisme, pour ensuite tomber dans l'ornière qu'il dénonçait. Quand il se révèle de plus en plus usé par les femmes, et la conscience que les piliers sur lesquels repose son monde sont du vent.
L'ouvrage a peu d'action, il procède plutôt par tableaux, et réussit à ne pas être lassant : Babbitt en goguette ; à la pompe à essence ; en train de draguer une manucure ; faisant un discours devant un vaste parterre ; traîné à une conférence de spiritualité par sa femme ; saoûlant son fils, qui veut donner une soirée, avec des conseils qui montrent bien qu'il n'est pas à la page.
Les monologues de Babbitt forment un tout, une sorte de dictionnaire des idées reçues de l'Amérique conservatrice, à travers les yeux d'un brave type aux idées épaisses.
J'en retire l'impression que les débuts de la société de consommation avaient quelque chose de fascinants, dans les années 1920. Une insouciance assez primitive, sauvage, d'avant le krach boursier de 1929. Un optimisme sans aucune restriction, qui prétendait vraiment faire des leçons à la terre entière, et une conception de la publicité vraiment exotique, sans le poli des années 1940-50.