Baise-moi est le titre racoleur du premier roman de Despentes, c'est le type de livre dont il n'est pas simple de parler à cause de sa vacuité. Au moins, il est aisé de le résumer.
Le livre se divise en 3 parties qui racontent l'histoire de 2 jeunes femmes dévergondées, Manu et Nadine.
La 1re partie décrit tour à tour leur quotidien morne et violent : alcool, consommation et trafic de drogues, violence policière, visionnage de porno hardcore, prostitution, viol.
Dans la 2e et plus longue partie, elles se rencontrent pour l'explosion de violence, de sexe, et de drogue. Sans arrêt elles boivent, fument des joints, prennent des médocs, du speed. Elles abordent des hommes pour baiser avec eux, en se comportant comme des clichés de machos.
Si ça te dérange pas, chéri, on va baiser plutôt que discuter : on a plus de chances de s'entendre.
Le tout entre 2 massacres d'innocents : passant, vendeur, enfant, tous ceux qui sont là au mauvais endroit, au mauvais moment...
Pour finir, dans la succincte 3e partie une meurt et l'autre se fait arrêter.
Il faut bien noter qu'il n'y a aucun objectif pour les personnages, ou intrigue qui se construit. Seule la gradation dans la violence gratuite fait office de structure.
La psychologie des personnages, leurs histoires, ce qu'elles représentent, tout ceci est un néant abyssal. Tout au plus peut-on dire que ce sont des marginales, des ratées, des perdantes, qui développent un sentiment d'impunité et un sadisme de plus en plus prononcé au fil des pages.
Il est vraiment dommage que ce qui est présent dans la première partie ne soit pas plus développé, on aimerait savoir le passé de ces personnages, les raisons de leurs conditions, leurs désirs, leurs sentiments. Surtout qu'il semble que Despentes a quelque chose en tête :
Tous ces trucs que tu tentes de faire et jamais rien ne réussit. Ca me fait penser au conte de la petite sirène. L'impression d'avoir consenti un énorme sacrifice pour avoir des jambes et te mêler aux autres. Et chaque pas est une douleur intolérable. Ce que les autres font avec une facilité déconcertante te demande des efforts incroyables. Arrive un moment où tu lâches l'affaire.
Quand je lis des passages de ce type, j'ai envie de savoir, que l'on m'explique, que l'on me fasse ressentir les choses, mais ce n'est pas là malheureusement.
On notera bien évidemment que les comportements représentés — en particulier dans la 2e partie — le sont habituellement chez des hommes. C'est une inversion des stéréotypes de genre, ce qui peut être intéressant, mais pour cela il faut des personnages un minimum crédibles. Si ces femmes n'ont pas de consistances, que l'on ne croit pas du tout qu'elles puissent exister, alors la démarche est sapée. Cette inversion ajoutée au fait que l'auteur est une femme est d'ailleurs, il me semble, le ressort qui est pensé pour choquer le lecteur, j'avoue que personnellement ça ne me fait rien du tout.
Le style quant à lui est très simpliste, il me semble que c'est un des livres au vocabulaire le plus pauvre et à la syntaxe la plus simple que je n'aie jamais lu. Ce qui le caractérise le mieux est évidemment l'usage d'injures à outrance. Ainsi que l'insertion de nombreuses citations venant de morceaux de metal et de punk (majoritairement du Suicidal Tendencies). J'imagine que dans sa tête ça sonnait bien, mais sans avoir les musiques en tête, je suis plutôt sceptique. Il a au moins la facilité de lecture pour lui.
On remarque tout de même quelques petites formules — qui sans être incroyables — sont plaisantes à lire, mais Despentes en est très avare.
Le pire, avec les cons, c'est qu'ils sont strictement antipathiques que dans les films. Dans la vraie vie, il y a toujours quelque chose qui traîne de chaleureux, d'aimable.
Ce qui sauve surtout le livre c'est qu'il est rempli d'humour, plutôt noir et trash évidemment. Il fait son petit effet et est divertissant, mais rien de très mémorable.
Ce livre me fait penser à un mélange entre Kerouac et Boris Vian. Tout va très vite, il y a de l'alcool, du sexe, de la violence. Ce me semble surtout être un défouloir, on dégueule sur tout. Si vous aimez les jeux comme Mortal Kombat ou Postal, les films gore, certains styles de rap et bien sûr de metal et de punk, vous trouverez sûrement ce livre un peu fun. En effet, avec des personnages aussi vides, insignifiants et inconsistants, couplés avec la violence gratuite enrobée d'un sentiment d'impunité et de puissance, on s'amuse sans être choqués puisqu’à aucun moment l'on n’est pris dans l'histoire, ou en empathie avec ces personnages. Malheureusement l'on ressent bien moins la violence dans un livre à la construction et au style douteux, que dans de bons jeux vidéo, films, ou musiques.
Il est aussi très dur de parler d'un propos, sans dire qu'il est intéressant, juste d'un simple propos. On peut repérer de temps en temps de petites idées sur l'habitude, les marginaux, l'accoutumance au porno violent, le fait que l'on pense esquiver l'inévitable, sur les possibilités cachées en nous de violence, le thème de la prostitution, les réactions face à un viol, les violences policières, le deal... Mais tout est à l'état embryonnaire, c'est presque un acte de charité que de le notifier ici. Si je ne prenais pas des notes au fur à mesure sur les livres que je lis, j'aurais sûrement presque tout oublié.
On a surtout selon moi un livre qui transpire l'immaturité, et qui doit sa renommée plus au sexe de son auteur et de ses protagonistes qu'à ses qualités intrinsèques.
Bien sûr le fait que ce soit une femme n'est pas totalement anodin. L'on peut placer l'intérêt d'un livre dans la démarche même, dans l'attitude, mais ici en dehors d'offrir la possibilité de dire "Ah, mais si je connais une femme qui a fait un livre violent, avec des héroïnes violentes", l'intérêt est plutôt limité. Si le fond de cette démarche était en tant que femme d'écrire un livre violent et provocateur, de montrer certaines personnes rarement représentées, et d'inverser les stéréotypes de genre, autant bien le faire.
Je ne déconseille pas pour autant la lecture de ce livre, qui dans son ambiance et sa démarche m'est sympathique. Puis il se lit excessivement vite, alors il n'y a aucune raison de ne pas se faire son propre avis.
Je laisserai à Despentes une 2e chance avec son King-Kong théorie qui devrait être bien plus travaillé. Il ne faut pas oublier que baise-moi est un livre qui fut écrit très rapidement, sans réflexion, par une personne jeune, sans grande prétention intellectuelle ou artistique.
Je laisse le soin de conclure à l'une des 2 protagonistes qui exprime très bien la substance de ce roman :
Nous on est plus dans le mauvais goût pour le mauvais goût , tu vois...