"C'est bien d'être doué. C'est mieux d'avoir de la chance"
Cassidy, Frazier, Luca, Dale, Cunnigham, Rideout, Booker ... "Baltimore" est avant tout une litanie de noms, des noms de victimes et de tueurs qui vont participer, contre leur gré, à la saison 1988 de la grande pièce de la vie au théâtre municipal de Baltimore. Cette année, 234 personnes perdront la vie de manière violente à Baltimore, 234 homicides sur lequel va bosser la brigade criminelle de la ville. Et derrière, en planque, David Simon va observer tout ça, suivant les inspecteurs de la brigade sur leurs scènes de crimes, dans les interrogatoires, dans les maisons, dans les bars.
Au final, ça donne un récit incroyablement dense et difficile à digérer, qui passe en trois pages d'un meurtre ridicule et bouclé d'avance (les "dunkers") à un cadavre perdu au fond d'une allée sombre, tué de plusieurs balles mais dénué d'empreintes, de cheveux, de traces quelconques ou de témoins (les redoutés "whodunit"). On suit les inspecteurs se marrer dans une salle d'interrogatoire en voyant un pathétique suspect enchaîner les bobards plus gros les uns que les autres, et quatre lignes plus tard tenter de feindre l'indifférence en observant le cadavre d'une gamine de 12 ans, violée et abattu d'une balle dans la nuque.
En même temps, on suit toute la vie de la brigade, avec ses disputes, ses bons moments, ses problèmes raciaux, administratif (la question du sacro-saint taux d'élucidation qui régit la vie de la brigade), hiérarchique, ses horaires foireux... on suit les inspecteurs faire l'aller-retour entre le QG, les scènes de crimes et les tribunaux (ou ils témoignent régulièrement).
Étonnamment, on se marre aussi, souvent. Bon, c'est pas un livre humoristique hein, pas vraiment possible quand les meurtres s’enchaînent tellement vite qu'il en devient impossible de retenir les noms de toutes les victimes. Mais les inspecteurs de la Crim' peuvent s'avérer de sacrés comique, dans le genre gras et beauf. Ca renforce le côté "tourbillon émotionnel", quand on passe d'une bonne blague à un horrible meurtre. Et puis parfois les deux se mélangent, et on rit tout en ayant conscience que putain, c'est vraiment dégueulasse (pour ceux qui ont lu le livre, je pense notamment à l'affaire Geraldine Parrish, la "veuve noire").
Bref, je vais pas m'étaler vingt mille ans, "Baltimore" est un formidable travail et un excellent témoignage d'une année au sein d'une brigade criminelle. Si vous éprouvez le moindre intérêt pour ce genre de trucs, si vous vous demandez quelle genre d'affaires sont les plus communes, si vous vous interrogez sur ce à quoi ressemble un interrogatoire dans la vraie vie, si vous voulez avoir un génial aperçu du système judiciaire américain, si vous vous demandez à quoi peuvent bien ressembler les types capable de s'enfiler autant de meurtres pendant des années sans broncher... lisez Baltimore.