"L'éveil est un saut en parachute hors du rêve."

Tomas Tranströmer n'a pas écrit beaucoup, et voilà ses œuvres poétiques complètes, qui tiennent en un volume de moins de 400 pages, contenant une cinquantaine d'années d'écriture. Le Prix Nobel suédois, à l'instar de Saint-John Perse, ou de Baudelaire, passe des années sur quelques poèmes, les travaille et retravaille, jusqu'à en tirer une pureté qui paraît surréelle. Mais il ne s'agit pas seulement de surajouter de la littérature sur de la littérature, de créer une couche de sens infinie, il s'agit surtout de retrouver la pureté de l'émotion lorsqu'on l'a vécue.

Je rapprocherai volontiers Tranströmer d'un cinéaste comme Tarkovski (ce n'est pas pour rien qu'ils sont parmi mes préférés dans leurs arts respectifs). On retrouve chez les deux artistes un même procédé : la mise en place d'éléments très concrets dans un monde métaphorique qui les englobe et les montre sous un jour totalement nouveau. Et peu à peu, les objets et situations concrètes échappent à leur référentielle et se retrouvent prises dans ce monde onirique, et parfois mystique, tout en donnant le sens à ce monde. De plus, il y a chez les deux artistes une apesanteur, une légèreté immense, dans le sens où l'on se sent voler au-dessus de soi en contemplant leurs œuvres. Aucun vers de Tranströmer ne tombe à plat, ce qui est extrêmement rate, même chez les plus grands.

Mais la particularité de Tranströmer, ce qui en fait un phare dans l'histoire de la poésie, c'est qu'il est le maître de la métaphore, de l'association d'image qui permet de comprendre le réel à travers un nouveau prisme. Comme Neruda ou Darwich, ses métaphores, belles à en crever, jettent une lumière en plusieurs couleurs sur le monde décrit. On est au-dessus des métaphores faciles et parfois lassantes des surréalistes. Et Tranströmer dépasse même Neruda et Darwich, car il a beaucoup moins écrit, et chaque métaphore en devient plus précieuse, plus puissante car jamais répétée.

Tranströmer a conscience que sa vie est prise et comprise dans un univers qui le dépasse : la mer, la musique, la poésie, le silence ou encore l'indicible. Sa poésie fait chemin au-milieu de ces forces, les contemple, les capte et les met au jour. Du long récit de voyage aux haïkus, Tranströmer fait toujours face à l'univers qui entoure sa vie. Et sa poésie sera celle de la conscience éveillée par la sensibilité à l'immensité du monde.

Une profonde paix sort de ce recueil. Tranströmer ne fait pas état d'une lutte avec le langage, il s'attache à maîtriser le langage et ses figures pour s'unir avec le monde de son esprit, monde qu'il crée ou recrée dans son poème. La métaphore lui permet d'unir le monde dans un seul grand cosmos, celui du poème, qui devient alors, comme le souhaitait Proust, le monde de la vie véritable.

Créée

le 1 mars 2014

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