Bandini
7.8
Bandini

livre de John Fante (1938)

Arturo Bandini attend le printemps tandis que la ville dort sous un épais manteau de neige et que les âmes vivotent dans la misère. Pas de soleil, pas de travail pour le père démissionnaire et bagarreur. Ne restent que les interminables prières de la mère, dévote contre vents et marées, désespérément passive mais formidablement aimante.
Alors Arturo Bandini, alter ego assumé de son créateur, attend le printemps et ses promesses doucereuses, ses rêves de gloire et d'amour, de consécration, de changement, échappatoire.


Bandini est une lente plongée, cadencée par le rythme monocorde des jours miséreux, dans le désespoir d'une communauté prise au piège au pays de l'accomplissement personnel, cette chimère de réussite traînant à son cou la ribambelle d'idéalistes en mal d'avenir qui constitue l'entourage d'Arturo.
À travers le prisme grossier de l'adolescence vagabonde - son adolescence - Fante dissèque le monstre de l'auto-mutilation familiale et communautaire, pointe d'un doigt vengeur les failles d'un rêve américain mis à mal par la récession. La fougueuse jeunesse stigmatise, prend moult raccourcis, caricature, rogne les angles. Mais ne ment pas. Ask the dust, par son approche mature, adulte, recouvrait délicatement les cloaques de Los Angeles d'un vernis, si fin fut il, d'humour noir bien dosé et de recul salvateur. Il n'en est rien ici. Car la jeunesse n'est qu'extrêmes et jusqu'au-boutisme, sentiments purs et entiers, sans peur du ridicule.


Ridicule qui confine à la honte mais qui n'effraie en rien Fante.
Ask the dust révéla à l'Amérique un grand bonhomme qui, déjà, n'avait pas peur d'exister sur manuscrit, d'offrir son intimité au monde sans fard aucun, sans peur, sans détour. Un écrivain hors normes, révolutionnaire en son genre et en son temps.
Bandini va plus loin encore, poussant l'autodérision au rang d'art, de thérapie collective.
Bandini est toute l'intimité d'un homme et d'une famille couchée sur papier. Malgré les omissions, malgré le recours à l'alter ego, c'est le cœur d'un être qui bat en ces pages miraculeuses, îlot de pure honnêteté au sein d'une littérature américaine alors en quête d'identité.
Il en faut du courage pour se livrer ainsi, pour léguer à ses contemporains ses pires hontes et ses plus tragiques faiblesses, ses plus beaux amours - qui n'en sont que plus charmants, exacerbés du contraste avec les mauvais penchants du jeune Arturo - ses premières désillusions. C'est ainsi qu'écrit John Fante. Avec un courage infini, démesuré. Il écrit le quotidien, le banal, l'anodin avec ses tripes, donne à ces simples instants, passablement oubliables, une aura de splendide humanité.
Le tout enrobé d'un style incomparable. Chaque mot, chaque phrase est un bloc massif de sens. Nulle dérive ou égarement poétique. Seul compte l'impact textuel, l'occupation de l'espace écrit (Fante est précurseur en ce domaine), la phrase assimilée à l'action, douée d'une once pugnace de vie propre.


En l'espace de deux romans, à peine reconnus en leur temps, John Fante a redonné vie à la littérature américaine.
Deux bêtes histoires quotidiennes enjolivées, triturées, malmenées mais plus touchantes que la savante poésie à venir des beats - là où Kerouac et consorts s'évertueront à embellir leur prose d'incursions poétiques, Fante peint brutalement l'image vraie de son univers, la force vitale du commun - plus directes que les premières bafouilles Bukowskiennes. Bukowski, dont la naissance littéraire doit beaucoup au charme d'Arturo Bandini. Bukowski qui fera sienne la démarche viscérale de cet auteur par qui la vérité arrive, mènera plus loin encore sa quête du parfait dénuement, pour les résultats que l'on sait.


Fante est à la prose américaine ce que Whitman est à sa poésie, un créateur unique, tourmenté mais sûr de lui, de son dessein, le père d'une génération.

-IgoR-
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 17 déc. 2015

Critique lue 1.3K fois

31 j'aime

8 commentaires

-IgoR-

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

31
8

D'autres avis sur Bandini

Bandini
Black_Key
9

And winter fell...

Au coeur du Colorado, un gamin fend la surface d'un manteau blanchâtre posé sur les quelques cabanes de la ville de Rocklin. Dans ses pas, au fond de ses traces, il laisse l'empreinte de souvenirs...

le 18 avr. 2017

27 j'aime

Bandini
JZD
8

La légende d'Arturo !

John Fante, chaque fois que j'y pensais, c'était Demande à la poussière, le livre est cool, agréable avec une ambiance chouette de raté, mais chaque fois que j'y pensais c'était surtout pour ce mec...

le 4 mars 2013

21 j'aime

8

Bandini
JulieToral
8

Critique de Bandini par JulieToral

Je ne sais pas exactement à quoi je m'attendais. Peut-être que puisque Fante et Bukowski étaient potes, j'ai pensé devoir m'attendre à une déferlante de cru. Mais non. Pas dans Bandini en tout cas...

le 24 févr. 2013

9 j'aime

Du même critique

Les Lumières de la ville
-IgoR-
10

Big City Lights

Il est facile de réduire ce City Lights à sa bouleversante scène finale. Elle le vaut bien cependant tant elle se fait la synthèse de ce que le cinéma muet a de meilleur. L’absence de parole est...

le 3 avr. 2014

69 j'aime

13

The Big Lebowski
-IgoR-
9

De temps en temps y a un homme...

Avec ce film, j'ai découvert l’œuvre des frères Coen. Il reste à ce jour l'un de mes favoris. Jeffrey Lebowski (Jeff Bridges), qui se fait humblement appeler "Le Duc", est un fainéant de première...

le 24 nov. 2013

57 j'aime

13

Les Premiers, les Derniers
-IgoR-
8

Feu ! Chatterton

Un ciel sombre, chargé. Au travers filtre un mince rayon de soleil. Bouli Lanners pose l’esthétique qui habillera son film d’un bout à l’autre. Un poing sur la table. Puis il pose ses personnages. Un...

le 30 janv. 2016

56 j'aime

26