Mordred est l'un des derniers varaniers, personnages sombres et mystérieux dont personne n'a jamais vu les visages, cachés derrières leur heaumes vissés sur leurs armures sombres qu'ils ne quittent jamais. Mordred arpente la planète Bankgreen sur Rod, le varan gigantesque qui lui sert de monture. À l'aube d'une nouvelle guerre opposant Digtères et Arfans, Mordred prend la direction du front et s'apprête à prendre part à un conflit décisif pour l'avenir de la planète.
Thierry Di Rollo s'essaye à la Fantasy ? de quoi me faire arquer un sourcil et me faire me ruer chez mon libraire préféré. En effet, S'il y a un auteur français que je suis avec attention c'est bien M. Di Rollo. La noirceur de son style, son obsession pour la mort, le désespoir latent... autant d'éléments qui s'alliaient à merveille avec des univers de science-fiction. Un Di Rollo en univers Fantasy, chez le Belial, ça a de quoi surprendre. Et c'est avec délice que je l'énonce: ça fonctionne, et à merveille !
Sans surprise avec l'auteur, ici pas de jeune adolescent sur les épaules duquel vont reposer l'avenir des forces du bien contre un mal indicible et qui va découvrir la vie à travers une prophétie initiatique à mourir d'ennui, de méchants orcs et de gentils hobbits, bref de manichéisme niais qui empoisonne le genre. Non, on retrouve le fatalisme de l'auteur, qui est d'ailleurs régulièrement rappelé sous la forme d'un proverbe universel: "Sur Bankgreen tout a une raison". Et outre le fatalisme, c'est bien la mort et la haine qui lient ses occupants.
Le temps joue aussi un rôle important dans le rapport à la mort: certains être ont une vie très brève, d'autres à l'échelle humaine. Certains de l'ordre du millénaire et les varaniers étaient réputés immortels... jusqu'à ce que Mordred soit le dernier d'entre eux. De telle sorte en fait que la vie des uns est dérisoire au regard des autres. Mordred dispose d'ailleurs d'un don terrifiant: il peut voir la mort de tous ceux qu'il croise, et ne rate jamais l'occasion de proposer une mort plus douce lorsqu'il estime que la mort que vont subir ses interlocuteurs est trop insupportable.
Bankgreen est une œuvre violente. Dès les premières pages, ça se massacre, à l'épée et à l'arme blanche en général et les descriptions sont crues et graphiques. Mais plus encore, c'est une violence éthique et morale qui parsème le roman qui fait le plus mal: des personnages à la vie si longue que le temps les obsède au point des les empoisonner littéralement, des manipulateurs qui n'hésitent pas à asservir les autres, manipuler des peuples pour atteindre des objectifs personnels de puissance. Quel est le sens de la vie ? semble être un questionnement incessant et les réponses, comme attendu avec cet auteur, sont sombres. Seule Bankgreen la planète est invariable; ne sera-t-elle pas la seule chose qui restera quand tous auront disparu, et la seule véritable entité intemporelle ?
Au final il s'agit là d'un roman plaisant et un essai transformé pour une première incursion en terre fantasy pour Thierry Di Rollo. Il nous promet dans une interview accordée à actuSF qu'on l'y reverra, et bien, je l'y attendrai avec impatience ! L'univers est riche, et il n'a pas abandonné ce qui constituait sa marque de fabrique: la noirceur de ses univers, les questionnements sur le sens de la vie et le rapport à la mort. Magistrale et poétique, Bankgreen saura contenter les fans d'une fantasy réfléchie et aux thèmes récurrents: rapport au temps, à la mort et violence de la nature humaine.