Il y a une espèce de contrariété que j'éprouve à chaque lecture de la - très radicale - politesse « I would prefer not to », qui jamais n'est complétée d'un quelconque post-scriptum. Si Bartleby s'exprime parfois, il ne s'explique jamais, et j'en ressors toujours un peu plus rembruni.
Sans avoir à mobiliser quelque érudition, il s'établit bien vite pour le plus nigaud des analphabètes que Melville était un piètre poète – et l'exégèse la plus primaire comme la plus méditée trahissent la médiocrité des Poèmes de guerre. Si l'on s'en tient à ce que nous dit P. Valery de la poésie - entre autre hein, parce que le bon maître nous en a dit beaucoup sur le sujet - à savoir que « la poésie est l'essai de restituer, par les moyens du langage articulé, ces choses ou cette chose que tentent obscurément d'exprimer les cris, les larmes, les soupirs etc. », alors Bartleby the Scrivener est l'incarnation la plus distinguée de l'antipoésie, dans laquelle Melville, cette fois, est un pur prodige.
Curieuse situation que celle où le silence amène tant le discours, ce - tout petit - livre plein de rien, rempli de non-réponses et peuplé d'avoués à vous assommer de balourdises propres à tout bon juriste, a suscité de nombreux discours, de Pennac à Deleuze pour être (con)-patriotique. Moi-même j'y succombe à mon niveau (très bas hein, soyons francs). Alors oui, Bartleby « refuse de jouer le jeu des Hommes » (et tout et tout) mais ce refus, plus que social est existentiel et le scribe refuse tout autant de jouer le jeu de la vie. Bartleby a pour se guérir du jugement des autres, toute la distance qui le sépare de lui (ça, c'est Artaud qui le disait à J.Rivière). Une distance qui l'emmure dans son être intellectuel, et précipite le lecteur dans un questionnement si long et si profond, que tout à coup on apprécie que le livre soit si court.
Mais Bartleby, c'est aussi la résistance, poussée dans sa logique la plus profonde. Je ne parle pas de la résistance frontale hein, j'ignore les protestations brutes ou truandes, les cons, les brusques et les violents ou toutes les autres formes traditionnelles de soulèvement, auxquelles je préfère ici le « simple » refus, l'opposition fuyante mais drastique, qui parfois se montre d'une efficience tout aussi remarquable.
Du reste, chacun ressort grandi de cette lecture diligente, avec sa petite idée sur la question.
Et, certainement, personne n'est jamais dans l'erreur. Sauf celui qui n'a pas lu.