Tout ce qu'il ne faut pas faire dans un roman fantastique : leçon 1

Je ne connaissais pas King. J'avais lu le tome 1 de Ça quand j'étais gosse mais, depuis, avais tout oublié. Aussi je voulais donner à King une autre chance, découvrir à quoi ressemblaient ses textes. Bazaar semblait un bon choix, et c'est donc avec un regard compréhensif que j'ai lu les 700 pages de ce roman.


Faisons la courte : c'est mauvais.


Faisons la longue, maintenant. Avec la blinde de spoilers, vous êtes prévenus.


King sait écrire, il faut lui reconnaître ça. Il sait très bien poser ses décors, il sait décrire ses personnages, rendre des dialogues vivants, bref, il maîtrise sa plume. Ce qui n'est pas le cas de sa structure.


Résumons simplement l'histoire : un méchant (Gaunt) s'installe à Castle Rock pour y ouvrir le fameux Bazaar. Les gens qui y viennent sont hypnotisés par Gaunt, et achètent toujours des objets incroyables, magiques même, pour une somme toujours très modique mais qu'ils doivent compléter en "faisant une petite blague" à quelqu'un d'autre de la petite ville. Ces "petites blagues" (salir des draps, poster une lettre anonyme, casser des vitres, crever des pneus, buter un chien…) vont déclencher des haines farouches entre les habitants, par paires qui vont joyeusement s'entretuer avec, heureux hasard, un double kill à chaque fois.


Voilà. Bazaar, c'est ça. Pendant. Sept. Cent. Pages. Une fois les 50 pages d'intro passées, et avant les 100 pages de dénouement, ce n'est que ça. On voit une ribambelle de personnages secondaires se faire envoûter par Gaunt, acheter des bidules, faire une crasse à quelqu'un, jusqu'à ce que deux autres persos se butent réciproquement. Rincez, secouez, recommencez.


Alors déjà, une fois qu'on a pigé le truc, le bouquin devient ultra répétitif. Ensuite, ça place sur le devant de la scène beaucoup trop de personnages, qui apparaissent, font des conneries, meurent. Zéro temps pour s'y attacher avant et, comme on comprend très vite la mécanique, on sait pertinemment qu'ils vont faire des stupidités et crever la gueule ouverte dans le caniveau. Ni sentiment, ni surprise.


Pire, pour justifier tout ça, King y va à fond. Au début, Gaunt les ensorcelle / hypnotise, soit. Mais après, on ne sait pourquoi, les bains de sang sont justifiés par le simple fait que Castle Rock semble habitée de psychopathes en puissance. On érafle ma bagnole ? Ok, laissez-moi chercher mon fusil à canon scié ; appeler les flics, c'est pour les mauviettes.


Et le méchant, parlons du méchant, tiens. Gaunt est un vilain-parce-qu'il-est-vilain. Pourquoi sème-t-il le chaos ? Parce que ça l'amuse, pardi, c'est tout. On a une vague allusion à une valise remplie d'âmes à la fin, mais bon, l'allusion ne dure pas une page.


Si on passe sur ses motivations en carton, il a par contre des pouvoirs qui sont totalement abusés. Pire : pour relancer la machine de l'épouvante, King booste ses pouvoirs au fur et à mesure de l'intrigue. Au début, pour piéger ses victimes, Gaunt doit leur vendre un objet avec, comme prix, de rendre un service. Ça ressemble à de l'hypnose, c'est à la fois crédible et terrifiant, bien trouvé. Puis ensuite, il peut simplement faire péter un câble à quelqu'un en lui envoyant un rêve. Apparaître dans leurs rêves. Déplacer des objets à des dizaines de kilomètres de là. Avoir un stock illimité d'armes ou de ce-qu'il-veut. Et le mec sait littéralement tout sur tout le monde. Il connaît le moindre secret du moindre habitant de la ville.


Alors question : pourquoi élabore-t-il un plan aussi foutrement compliqué ? Gaunt a largement le pouvoir de raser Castle Rock en cinq minutes, douche comprise. Mais non, il préfère élaborer un stratagème super compliqué et super minuté où tout le monde s'entre-dévore.
On pourrait se dire : "c'est pour la morale : faire comprendre aux gens qu'ils ont tué pour des pacotilles, pour des mirages". Eh bien non, parce que pas un personnage (héros mis à part, car les héros sauront par un miracle inexpliqué résister en fin de compte aux envoûtements de Gaunt) n'est libre de ses actions. C'est même souligné dans le texte : une fois que tu as acheté quelque chose chez Gaunt, c'est fini, tu es sa marionnette. Zéro libre arbitre, et du coup, zéro responsabilité aux yeux du lecteur. Personnage secondaire, tu n'es qu'un pantin qu'agite King pour faire des scènes macabres.


Bref, ce roman aurait pu avoir comme titre complet "Bazaar : collection des clichés d'un mauvais roman fantastique". Avec un tiercé gagnant sur le méchant : super-pouvoirs à géométrie variable, plan trop compliqué sans raison, et raisons jamais dévoilées.


Du coup, King, pour moi, c'est fini. Je préfère encore relire un Horla ou une Métamorphose ; il y a peut-être moins de surenchère, mais justement, ça n'en rend que l'intrigue plus consistante.

Xavier_Porteboi
5
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le 18 févr. 2017

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