En 1926, Tolkien, dont on sait qu’il était un grand philologue avant d’être romancier, terminait la traduction de Beowulf, récit écrit en vieil anglais entre le VIIe et le Xe siècle. Cette traduction, qui semble être plus littéraire que les autres, est enfin publiée sur l’initiative de son fils, Christopher Tolkien, qui a fourni pour cela un travail éditorial conséquent. Cette légende est celle de Beowulf, héros des Gauts, « peuple ami du vent », qui vit dans le sud de la Suède auprès du roi Hygelac. Il prend un jour la mer avec ses compagnons pour rejoindre le Danemark où il a entendu dire que le roi Hrothgar souffrait des persécutions du monstre Grendel, « forme humaine vagabonde dépossédée du rire joyeux des hommes », retirée dans le pays du peuple troll et qui empêche les Scylding (les Danois) de profiter de la halle d’Heorot, devenue son terrain de chasse dès la nuit tombée. Cette créature, issue de la descendance de Caïn, « fauteuse d’actes et de haine secrète, par les nuits de ténèbres manifeste de manière effrayante sa malice monstrueuse, honte des hommes et fléau des morts ». Beowulf en viendra à bout, de lui et de son ogresse de mère, « monstrueuse femme des mers, louve proscrite des profondeurs », au terme de plusieurs combats et sera traité en héros par ses hôtes avant de retourner en Suède où il succédera au roi. Un dernier épisode, survenu cinquante ans plus tard, nous le présente en lutte avec un dragon, « serpent tout en flammes, glissant en courbes méandreuses », qu’il parviendra à vaincre mais à qui il devra sa propre mort.
Cette version a l’avantage, au dire des spécialistes, de porter l’attention sur certains aspects descriptifs qui donnent une atmosphère véritablement épique à l’histoire : descriptions des monstres, des tenues guerrières, des trésors royaux (le récit finit d’ailleurs par un potlatch funèbre lourd de sens), enveloppées toujours d’expressions superlatives dans une langue flamboyante et d’une grande force d’évocation. La traduction en anglais moderne (ici en français), allitérative et imitant avec talent le rythme de la poésie ancienne, est suivie d’un long commentaire de Tolkien, issu d’une série de conférences données sur ce texte, ainsi que de trois autres récits inspirés de la légende mais écrits par lui : deux courts poèmes intitulés Lai de Beowulf, qu’il aimait chanter à ses enfants, et Sellic Spell, un conte à qui il explique avoir conféré « un mode d’expression scandinave en l’écrivant tout d’abord en vieil anglais » – exercice de style impressionnant dans lequel le linguiste et le romancier féru de merveilleux se rencontrent, annonçant la suite de la carrière de l’auteur du Seigneur des anneaux.