Berezina
7.2
Berezina

livre de Sylvain Tesson ()

« Avant de mourir, foutus pour foutus, les hommes se saoulent, baisent et bouffent..."

Sédentaire, j’aime les récits de voyage. Voyageur impénitent, Sylvain Tesson aime se raconter. Tesson est un ami précieux. Il écrit et vit comme les hussards sabraient : qu’il soit de taille ou d’estoc, son trait de plume est fulgurant. Un style aussi parfait exige des années d’apprentissage et s’accompagne, nécessairement d’une prise de risque. Tesson n’a peur de rien. Il affectionne l’isolement et les températures extrêmes, l’alpinisme et le motocyclisme.


Dans Berezina, cet observateur lucide nous déclare sa flamme pour l’âme russe : « Nous autres, latins, nourris de stoïcisme, abreuvés par Montaigne, inspirés par Proust, nous tentions de jouir de ce qui nous advenait (…). Dès que le vent se levait, en somme, nous tentions de vivre. Les Russes, eux, étaient convaincus qu'il fallait avoir préalablement souffert pour apprécier les choses. Le bonheur n'était qu'un interlude dans le jeu tragique de l'existence. » Il l’accompagne d’une rafale de savoureux aphorismes : « Et si c'était là la clé du mystère russe ? Une capacité à laisser partout des ruines, puis à les arroser par des torrents de larmes. » ou « Un dîner russe consiste à ralentir les ravages de la vodka en avalant un oignon, de l'aneth et un petit hareng. »


Sur un coup de tête et pour célébrer le bicentenaire de la retraite de Russie, il réunit quelques amis pour un raid Moscou – Paris. Les deux Russes et les trois Français communient dans la fascination pour l’Empereur, cet improbable conquérant : « La vie de Napoléon était le parcours d'un génie galopant après ses visions, emporté par le torrent du rêve et laissant derrière lui l'esquisse de projets impossibles. » Trop pressés pour marcher, trop fiers pour circuler en voiture, ils rouleront en Oural, un rustique side-car soviétique. Ils affrontent le gel, la neige et l’épuisement, les routes défoncées et les files de semi-remorques aveugles. Ils dorment peu. A l’étape, ils boivent et discourent. Ils commentent les mémoires des rares rescapés, une poignée sur les 450.000 soldats. Deux siècles nous séparent, comment concevoir une telle folie, une telle somme de souffrances ? Ces hommes se sont laissés mourir de faim, de froid, de fatigue… sans colère. Sans renier leur admiration pour l’homme qui les avait conduit en enfer. Autres temps…


« Avant de mourir, foutus pour foutus, les hommes se saoulent, baisent et bouffent à sen faire crever le ventre. Étrangement, aucun ne se met en quête d'une librairie pour relire un dernier poème de Virgile »

SBoisse
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 104 critiques de livres, Récits de voyage et L'ami Tesson

Créée

le 27 avr. 2016

Critique lue 1K fois

19 j'aime

Step de Boisse

Écrit par

Critique lue 1K fois

19

D'autres avis sur Berezina

Berezina
nico94
8

Road trip à la sauce Tesson

Avec Sylvain Tesson tous les prétextes sont bons pour partir en vadrouille. Cette fois-ci l'écrivain s'élance sur les traces de la retraite de Napoléon de 1812...propose donc de refaire le même...

le 31 juil. 2018

9 j'aime

7

Berezina
raoulle
5

Critique de Berezina par raoulle

Un peu trop side-car chapka vodka et virilité bourrue, mais quelques qualités. L'évocation de la retraite de Russie est par exemple assez épatante, on apprend une foultitude de choses (hippophagie,...

le 1 août 2015

5 j'aime

1

Berezina
Zitto
5

Critique de Berezina par Zitto

Cela part sur une sorte de défi, un peu de potache. C’est intéressant au début, la connaissance de la campagne de Russie ayant été visiblement très bien travaillée par l'auteur, mais cela parait...

le 5 janv. 2017

4 j'aime

1

Du même critique

Gran Torino
SBoisse
10

Ma vie avec Clint

Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...

le 14 oct. 2016

127 j'aime

31

Mon voisin Totoro
SBoisse
10

Ame d’enfant et gros câlins

Je dois à Hayao Miyazaki mon passage à l’âge adulte. Il était temps, j’avais 35 ans. Ne vous méprenez pas, j’étais marié, père de famille et autonome financièrement. Seulement, ma vision du monde...

le 20 nov. 2017

123 j'aime

12