Après l'excellente (mais tardive en ce qui nous concerne) découverte de Dominique Manotti avec L'évasion, il nous fallait faire plus ample connaissance avec les œuvres de cette auteure bien de chez nous.
Son engagement socio-politique bien connu l'amène à explorer des thèmes qui, même si l'on partage son point de vue, ne nous branchent pas toujours, saoulés que nous sommes d'actualités quotidiennement ressassées en tous genres et en tous sens.
Que dire alors d'une histoire qui s'en va faire un tour du côté de nos banlieues Est : guerre des polices, insécurité, immigration, sdf, flics ripoux, ...
Un territoire romanesque où ciné et télé ont depuis longtemps étouffé tout espoir de renouveau créatif.
C'était sans compter sur le réel talent de cette auteure.
Bien connu des services de police est un titre bien vu pour polar parfaitement maîtrisé.
Bien sûr, on l'a dit, le décor est vu, revu et re-revu.
Mais la prose de Manotti est affutée et rigoureuse : rien n'est laissé aux hasards, rien n'est concédé aux effets de mode, rien n'est abandonné en cours de route ou exploré en vain.
Sur ces terrains que l'on dit vagues, la précision de Manotti décortique le fonctionnement même de notre société qui laisse aux flics le sale boulot que personne ne veut plus faire, ni même savoir, et encore moins voir. C'est sans appel et après quelques pages, le lecteur est prêt à jurer que oui, j'ai déjà traversé ces rues sombres entre entrepôts et squats, que Panteuil existe bien, oui c'est juste entre Pantin et Montreuil, je connais bien.
Bien sûr quelques flics ripoux ne sont pas épargnés : mais derrière les apparences faciles, on sent bien que ce ne sont pas eux les fautifs, en tout cas pas les seuls, encore moins les pauvres bougres qu'ils rackettent, mais bien plutôt nous, concitoyens et lecteurs, qui voulont rester à l'abri des banlieues sans voir tout cela, en fermant bien les yeux sur les interpellations musclées et les évacuations forcées.
Nous préférons gérer le confinement de ces difficultés à un coût socialement acceptable :
[...] Il serait très exagéré de dire que l’ordre républicain règne
dans les ghettos. Pour qu’un certain ordre y règne, il faudra que se
développent des réseaux d’autorité ethniques et religieux propres aux
gens qui les peuplent. Ce sera long, mais nous y travaillons. En
attendant, nous tentons d’assurer, à un coût socialement acceptable,
le confinement des problèmes et la stabilité de l’ensemble de la
société française.
Sous couvert d'enquête policière, l’imperturbable Manotti poursuit son travail d'investigation sociale et décortique un par un tous les mécanismes : pouvoirs, électorats, ambitions, banditismes, le petit et le grand, extrême-droite et insécurité, bavures inavouées et machinations inavouables, ...
[...] Les bavures sont inévitables. J’en ai déjà géré, j’en gérerai
encore. Je n’ai alors que deux soucis : amortir le choc vis-à-vis de
la population du ghetto, ce n’est pas toujours fait de façon
satisfaisante, il faut bien l’admettre. Et assurer la cohésion sans
faille de la machine policière, quel qu’en soit le prix. Cela, nous
savons mieux faire.
Alors on a beaucoup aimé la maitrise de cette histoire de lutte entre gens de pouvoir ambitieux, ainsi que la maîtrise d'une plume froide et implacable qui entend ne nous laisser aucune zone d'ombre où pourrait se réfugier le lecteur.
Heureusement tout livre possède sa page 'fin' et pour retrouver son confort moral, le lecteur pourra refermer ce bouquin dérangeant, se rappeler que oui, le ministre de l'intérieur a été élu président, que oui, un autre se prépare à l'être, bref que l'éclairage violent de Dominique Manotti sur notre société gangrenée s'est éteint et que l'on peut à nouveau regarder le JT en fermant les yeux.