A 28 ans, soit en 2013, l'écrivaine néo-zélandaise Eleanor Catton avait déjà décroché le Prix Booker grâce un somptueux roman intitulé Les Luminaires, 5 années après avoir débuté en littérature avec le non moins brillant La Répétition. Il n'est pas étonnant, qu'à l'instar des sportifs surdoués qui gagnent dès leur plus jeune âge, la romancière ait connu quelques difficultés à retrouver de suite l'inspiration. Le temps est passé et, en 2023 (janvier 2024 pour la traduction française), elle est enfin revenue avec Birnam Wood, son livre le plus en prise avec l'air du temps, visiblement très documenté mais sans perdre pour autant son allant romanesque, associé comme dans ses ouvrages précédents d'une certaine prise de risque, vis-à-vis de ses lecteurs. En effet, cet "Éco-thriller", éminemment politique, suit en parallèle plusieurs personnages dont les portraits psychologiques se dévoilent en parallèle durant un gros tiers du livre, sans que rien de spectaculaire ne se produise a priori. C'est une façon patiente et minutieuse de planter le décor, les enjeux et les protagonistes de ce drame shakespearien (inspiré de Macbeth) qui peut aussi être vu comme une éclatante comédie de mœurs. La quatrième de couverture de Birnam Wood évoque un récit où évoluent "un grand naïf, une militante écologiste et un milliardaire aux ambitions démesurées" mais ils sont entourés d'une pléiade de seconds rôles dont l'autrice dévoile avec gourmandise les personnalités, souvent complexes, sans jamais cesser, quelles que soient les apparentes digressions, de déployer son impressionnant canevas narratif. Tout est construit pour que l'action aille crescendo jusqu'à un final en forme de spectacle pyrotechnique qui laisse coi. Birnam Wood ne compte que 3 chapitres pour 560 pages, alors que tant d'autres écrivains auraient cédé à la facilité et à une efficacité plus immédiate, en aménageant davantage de pauses dans une intrigue d'abord éclatée pour mieux se resserrer, in fine. Le livre est celui d'une époque, la nôtre, envahie par la technologie mais où les ressorts humains sont finalement les mêmes qu'à la période élisabéthaine. Avec le cynisme des uns, la candeur de certains, et les capacités de tous les autres à surfer entre compromis et compromissions. Le livre de Eleanor Catton comporte notamment un formidable "méchant", séduisant, insolent et immoral, qui comme dans certains des meilleurs Hitchcock participe à la réussite majuscule de Birnam Wood, le premier très grand roman de 2024, qui sera difficile à égaler, ne serait-ce que pour sa densité. Souhaitons juste que Eleanor Catton n'attende pas une nouvelle décennie avant de nous redonner de ses nouvelles.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Buchet Chastel.