Pour résumer "Bondrée" en deux mots, il s'agit d'un polar littéraire : c'est à dire une histoire assez classique de tueur de jeunes filles, mais écrite avec un style très singulier, marque de l'auteur Andrée Michaud.
La romancière québécoise s'exprime dans une langue très riche, à la fois littéraire et poétique mais aussi réaliste dans ses nombreuses descriptions de la nature environnante. Michaud explore avec force détails la faune et la flore de Boundary Pond, un petit coin perdu à la frontière américano-canadienne, lieu de villégiature estivale d'une grosse poignée de citadins des deux pays, heureux de partager en famille des vacances au camping local.
Il faut dire que Bondrée (le nom français) se situe à la fois au pied de la montagne, au bord d'un lac et en lisière d'un bois touffu, au sein duquel un certain Peter Landry, trappeur de son état, était venu se réfugier quelques années plus tôt, fuyant la guerre et la civilisation en général, et alimentant les légendes locales.
Si l'intrigue contée par Michaud se révèle captivante jusqu'au bout, il faut reconnaître que la dimension policière ne distingue pas spécialement "Bondrée" du tout-venant.
Si la romancière entretient le mystère intelligemment - grâce à une astuce scénaristique efficace, qui nous plonge dans les pensées du tueur - le dénouement s'avère assez décevant, dans le sens où le coupable pouvait finalement être à peu près n'importe lequel des protagonistes, ses motivations ne paraissant pas suffisamment singulières pour le distinguer.
Au cours de l'enquête, l'auteur préfère visiblement se concentrer sur les états d'âmes de l'inspecteur chef Stan Michaud (remarquez le patronyme), et de son adjoint le jeune Cusack.
C'est l'une des forces de ce roman : alterner les points de vue pour nous plonger dans la psyché tourmentée de ses personnages, telle la narratrice à la première personne (lors de certains chapitres), la petite Andrée, 12 ans, un avatar de la romancière, garçon manqué espiègle qui bascule progressivement vers l'adolescence.
Il faut préciser que ce parti-pris entraîne clairement des longueurs, au point que la lecture s'avère laborieuse autour du premier tiers du bouquin, mais personnellement j'ai fini par m'habituer à ce style très descriptif, complètement dénué de dialogues!
Et puis, c'est un tel plaisir d'assister à cette succession d'expressions québécoises et de franglais, de termes tels que "gomme balloune", "pichous", "frencher", "littoldoll", "pogner les nerfs" et j'en passe...
D'autant qu'Andrée Michaud contextualise parfaitement son récit (situé en 1967, durant le fameux summer of love), à l'aide d'évènements et de tubes d'époque, ainsi que de marques locales et d'habitudes alimentaires du coin, souvent méconnues des lecteurs français.