Françoise Sagan avait compris, alors qu'elle n'avait même pas vingt ans, toute l'envergure des sentiments qu'elle éprouvait et que pouvait éprouver ses proches lorsqu'elle écrivit Bonjour tristesse. Un portrait de jeune femme où la contemplation lascive des adolescents découvre le sens de l'humain. En dehors du succès commercial et sociétal du roman par la suite, il reste de Bonjour Tristesse un écrit extrêmement mature et dense, où la simplicité de lecture ne doit jamais faire oublier l'essentiel : l'instabilité des sentiments. Il n'est question que de ce rapport périssable dans ce livre d'une douce et rare justesse quand on parle des amours. Il est question d'un père et de sa fille, d'une fille et de son père, et tout porte sur la perception que l'on a de la réalité. Bonjour Tristesse est incroyable pour une seule raison qui surpasse toutes les autres ; c'est un roman qui retranscrit, à la virgule près, au moindre petit frissonnement près, la totale incohérence que peuvent avoir nos émotions sur tout ce qui fait de nous des êtres uniques.
Bonjour Tristesse dépossède sa narratrice, Cécile, de toute forme de personnalité, pour en faire une feuille vierge, qui superpose la haine et l'amour (et toutes ses nuances) en fonction des rebondissements présentés dans le livre. D'une page à l'autre, elle va haïr puis profondément apprécier une personne. Elle encensera durant cent pages une personne, pour finalement nous avouer tout le contraire avant de nous laisser sur ces deux mots tellement puissants : Bonjour Tristesse. Car si l'explication arrive un peu tard, on comprend finalement que le titre est en total accord avec l'essence même de ce que Françoise Sagan veut déterminer : l'incertitude au plus profond de nous. Bonjour Tristesse, se dit Cécile sur son lit, alors que sa vie semble reprendre son cours. Elle arrive, par mégarde, puis repart, fluctuante comme un mirage, comme une ombre en dilettante. C'est là tout le génie de l'auteur : différencier nos actes de nos principes sans jamais choisir l'un des deux pour expliquer ce que nous sommes et vers quoi nous voulons tendre.
Deuxième lecture chez Françoise Sagan, et toujours autant fasciné par son degré de perception. Elle fait partie de ces auteurs que l'on aurait aimé rencontrer en vrai, car ils ont l’œil vif, la pensée inépuisable, ils mettent le doigt sur des émotions qui nous traversent à peine, si loin de nos considérations et pourtant si importantes. Bonjour Tristesse n'est pas une banale histoire entre une fille au désir d'émancipation et de son père infidèle, c'est avant tout la rencontre d'une jeune femme avec elle-même, et de son miroir, Anne, qui deviendra pour toujours le reflet d'une faiblesse enfouie dans les décombres. Percutante et en même temps tellement douce et juste, la plume sensible de Sagan démontre que l'on peut écrire sur tous les sujets, quand on n'est pas n'importe qui à l'intérieur. Ce fut quelqu'un, indéniablement, et ce livre laisse un arrière-goût de vérité, de mélancolie, de chagrin, dont les élans vous cueillent petit à petit jusqu'à la toute dernière page. Ce n'est pas une claque dans la figure, c'est plus fin que cela.