Bouvard et Pécuchet sont deux employés de bureau ; ils décident d’abandonner leur emploi aliénant de copiste à la capitale, pour aller vivre à la campagne. Là, ils prennent successivement intérêt pour tout et n’importe quoi : agriculture ; littérature, physique, biologie, philosophie,... ils lisent tout ce qu’une discipline peut offrir d’ouvrages, de vulgarisation ou non, afin d’en percer les secrets, et de satisfaire leur soif de savoir. Ils placent toute la rage des néophytes dans l’approfondissement des disciplines auxquelles ils touchent, puis l’abandonnent, l’ayant tantôt épuisée, tantôt étant rebutés par l’inaccessibilité de la matière. Dégoûtés, ils passent à autre chose. Encore. Encore. Et encore. Une certaine répétitivité dans la structure. Néanmoins, rien de rédhibitoire. La passion de la connaissance qui motive Flaubert dans le déploiement de ses encyclopédiques savoirs est communicative. Et puis, les deux compères se jettent dans
l’apprentissage d’une discipline qui nous rebute, nous savons que ce n’est que temporaire, et attendons avec curiosité sur quel pan de savoir vont tenter de s’accrocher nos deux personnages.
Mais ce n’est pas un huis-clos. Nos deux amis, retirés à la campagne, ont affaire aux habitants du village. Le contact des deux célibataires (on peut supposer une inspiration de Bouvard et Pécuchet à Montherlant) maladroits, vivant pour l’Idée, avec les autochtones, est l’occasion pour Flaubert de vomir sur ses congénères. La naïveté, relative, des deux personnages, se heurteà, et met en lumière, la grossièreté la bassesse, le conformisme de strates de la population que nos éternels étudiants vont vite se mettre à dos, dans un mutuel mépris, finissant par s’isoler de plus en plus de ces êtres manipulateurs, ennemis des idées, vulgairement terre-à-terre.
On a souvent raillé l’inconstance, la maladresse des deux personnages principaux. Mais finalement, ils sont touchants dans leur naïveté (il faudrait être bien abject pour rire de leur incapacité à l’universelle expertise... contradiction dans les termes), leur honnêteté et leurs failles, dont les autres profitent sans vergogne. Ils sont plutôt l’outil, le microscope qui va exposer au grand jour la bassesse des contemporains de l’auteur.
Finalement, nos deux héros, dégoûtés des gens, et de l’étude, retourneront à la consolante copie, suite au triste constat de la relativité générale du savoir humain.
Dans cette invitation drôle et passionnée à l’humilité du savoir, Flaubert règle ses comptes, tout en
déployant les ailes de sa curiosité passionnée.