Western, conte et roman social : Buveurs de vent est tout cela à la fois, créant une atmosphère fuligineuse, dans une vallée isolée que personne ne semble pouvoir quitter autrement que les pieds devant. C'est la description de cette ambiance toxique qui fait le prix du dernier roman de Franck Bouysse, alliée à un talent inouï pour décrire une foultitude de protagonistes, des bons, des méchants et des vaincus. Il faut une grande maîtrise d'écrivain pour donner à chacun une véritable ampleur psychologique et ne pas en faire des personnages manichéens. Ils évoluent tous, peu ou prou, sur la longueur du roman, prenant conscience de leurs manques ou de leurs failles, et c'est aussi ce qui fait la beauté de Buveurs de vent. Certains sont plus attachants que d'autres, évidemment, à commencer par la fratrie qui se balance sur des cordes accrochées au viaduc, avec vue imprenable sur la vallée, ses turpitudes et ses renoncements. Le livre est celui d'une révolte contre un ordre des choses imposé et dictatorial, une sorte d'hymne à la liberté contre les forces noirs de l'oppression. C'est en cela, dans l'histoire d'une petite communauté, que l'auteur touche à l'universalité, dans le sens où il y a toujours moyen de lutter contre la coercition avec la solidarité et le courage comme points d'appui. Cela est vrai pour une vallée comme à l'échelle d'un pays. Grand livre, ce Buveurs de vent, l'est c'est indéniable, et très prenant, même si on peut pointer un début d'ouvrage un peu long à mettre les choses en place et surtout un dénouement radical, brutal et un tantinet frustrant. Quant au style de Franck Bouysse, il est le plus souvent magnifique mais il lui arrive aussi, parfois, de s'égarer dans un apprêt affecté, comme si l'auteur se mirait un peu trop dans l'eau chatoyante de son écriture. Toutefois, sa puissance d'évocation vient facilement à bout des quelques réticences du lecteur qui a trop avalé de romans incolores et insipides pour ne pas apprécier la différence.