J'allais partir du principe que tout le monde sait de quoi Ça retourne. Mais il y a peut-être encore, ici ou là, des âmes égarées qui ignorent tout de ce livre emblématique du Maître de l'Horreur. Pour ceux-là, et pour faire court, disons que ce gros pavé raconte l'histoire d'enfants qui, terrorisés par une créature maléfique et liés par une promesse, décident une fois devenus adultes de revenir s'en débarrasser. Bien entendu, en un bon gros millier de pages, il se passe beaucoup plus de choses que ce que cette présentation succincte pourrait laisser penser. Patiente, je vais développer. Mais, d'abord, un petit retour dans le temps.
Je me revois, et je vous laisse vous en faire le tableau, freluquet âgé de treize ou quatorze ans, boutonneux, allongé sur mon lit, plongé dans ma lecture de Ça. J'en avais alors englouti les trois volumes en autant de jours, à ne rien faire d'autre de ce long week-end pluvieux que lire. Lire - et m'interroger sur une étrangeté de la couverture du dernier tome : on y voit des membres de l'autoproclamé "Club des Ratés" se battre contre leur cauchemar. L'un des enfants a un bras arraché, lequel dépasse de la gueule du monstre. Or, s'il manque le bras gauche au garçon, c'est une main droite que la créature tient entre ses dents. Bizarre autant qu'étrange. Je me souviens m'être alors interrogé à ce sujet avant de finalement abandonner cette piste, dont j'ai logiquement repris le cours une trentaine d'années plus tard, en retombant sur ces illustrations. À ce jour, je n'ai pas de meilleure théorie que celle d'une simple étourderie de l'artiste. Je suis preneur d'une explication plus satisfaisante. Bref, revenons au présent.
Plus souvent debout dans le métro que pelotonné sous ma couette, moins gringalet qu'alors et surtout moins acnéique, il m'a fallu plus de trois jours pour relire ce classique qui, toutefois, conserve son aspect totalement addictif - encore aujourd'hui avec un regard d'adulte, le mien. Même si j'y ai parfois décelé quelques maladresses et même si certaines scènes paraissent improbables (à l'image d'un passage orgiaque final que je peine à justifier), le scénario est d'une grande efficacité, sa narration également. Le décor est immersif, certaines scènes sont incroyablement visuelles, la construction ne laisse aucun répit au lecteur et, surtout, le méchant est aussi graphique que les personnages sont attachants. Il est d'ailleurs difficile de quitter ces derniers. Pourtant, de prime abord, ils semblent trop caricaturaux pour être crédibles, en particulier lorsqu'ils sont enfants. Ils sont même souvent réduits à leur fonction - Bill, le bègue ; Ben, le gros ; Bev, la fille ; Richie, le binoclard ; Eddie, l'asthmatique ; Mike, le noir ; Stan, le juif. Mais malgré cela, ils restent convaincants. L'effet de groupe n'y est pas étranger ; ils sont soudés, complémentaires, cohérents et le lecteur est régulièrement tenté de se dire qu'il aurait aimé intégrer une telle bande pour faire face à l'adversité.
Cette bande imaginée en 1986 contribuera à définitivement inscrire Stephen King comme l'un des grands metteurs en scène d'enfants de la littérature de genre. Et qui dit enfance dit regard sur le monde adulte d'une part et sentiment de nostalgie d'autre part. Là aussi, le romancier américain tire largement son épingle du jeu. Il analyse avec finesse la défiance des jeunes à l'égard des vieux, tous plus tordus les uns que les autres, et le regard que ceux-ci, du moins ceux auxquels il reste une once de lucidité, posent sur leur propre passé. À elle seule, l'ultime scène du livre illustre parfaitement ce propos : Bill ravive son amie en lui faisant enfourcher le vélo de son enfance. Tout un symbole. Le décor contribue à ce sentiment de nostalgie. Les vêtements, la musique, les voitures, toute l'époque est parfaitement retranscrite. De même pour les préoccupations, les enjeux et les problématiques de l'enfance qui sont au cœur du récit.
Ce livre est donc bien plus qu'une simple histoire d'horreur. Toutefois, il ne faut pas négliger cet aspect. Le monstre est effrayant et si nous avons tous peur des clowns, ce n'est pas pour rien. Celui du roman est tout simplement flippant, aussi bien dans sa version basique imaginée à l'économie de moyens que dans ses épouvantables variations plus stylisées. La scène d'introduction aura marqué tous les lecteurs, et pour cause ! Ce garçon attiré dans les égouts par un clown ! Quelle inventivité ! Impossible aujourd'hui de plier un bateau en papier sans y penser... Impossible également de poser le livre une fois ce passage lu !
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