La narratrice raconte son histoire d'amour avec Sarah. Le fait qu'il s'agisse d'une histoire homosexuelle ne fait pas l'intérêt de cette histoire. Le sujet de l'homosexualité est d'ailleurs rapidement balayé. C'est avant tout une histoire d'amour universelle: comment on s'attache à quelqu'un, comment il nous obsède, comment il nous déçoit, comment il nous dévore, comment on fait pour vivre sans lui.
C'est extrêmement bien écrit. Le style me semble comparable à celui de Marguerite Duras (à laquelle il est d'ailleurs souvent fait référence dans le roman) mais ce style reste plus accessible, moins elliptique et moins "alambiqué" que celui de Duras. Pourtant les deux femmes auteurs poursuivent les mêmes objectifs: raconter vite, de façon incarnée, écrire comme on pense, écrire des obsessions comme elles se présentent à l'esprit, des obsessions qui tournent en boucle avant de s'amplifier et de se ramifier jusqu'à embrasser une réalité complexe, contradictoire, humaine et indicible. Ainsi, l'effet produit chez la narratrice par le silence qui suit une déclaration d'amour est comparé au plaisir furtif de sentir l'odeur soufrée de l'allumette qu'a allumée Sara après avoir dévoilé son cœur. Cette comparaison avec l'allumette est reprise en boucle pour nous faire comprendre le caractère sulfureux de l'aveu, son côté lumineux, chaud et fugace qu'il produit chez la narratrice si bien qu'elle se souviendra avec de plus grands émois de l'allumette et des sensations plutôt que des paroles de Sarah.
Cela donne une prose fluide et dense à la fois, sensuelle mais aussi cérébrale, viscérale et éthérée. On lit avant tout ce livre pour son style.
L'histoire, elle, ne propose rien de nouveau et s'articule en deux parties:
1) La rencontre, la passion, le quotidien amoureux
2) La rupture, la fuite et le chagrin.
La première partie est parisienne, belle, enthousiasmante, permet à la voix de la narratrice de prendre de l'ampleur et de vibrer. La seconde se passe à Trieste, ce qui est original. Elle est plus pesante, un peu répétitive à mon goût, moins crédible, trop "intense". Intensifier à ce point cette rupture me semble affaiblir rétrospectivement le bonheur des débuts: si la femme esseulée est à ce point hystérique et obsessionnelle, ne devrait on pas relire les premières pages de la même femme amoureuse en tenant compte d'une certaine propension à l'exagération et aux états extrêmes?