"Prenez et mangez, ceci est leur corps." Les paroles de Jésus, légèrement modifiés, correspondent au thème du premier livre de l'argentine Agustina Bezterrica, ironiquement intitulé Cadavres exquis. L'humour noir est pourtant assez peu présent dans ce livre allégorique où suite à un virus les animaux ont presque tous disparu de la surface de la Terre. Résultat : le cannibalisme est devenu la norme (passons sur les détails). Déjà, le postulat de départ pose question tant il semble que l'évolution de nos sociétés mène plutôt à une consommation de moins en moins importante de viande. mais il est vrai que l'Argentine est un cas à part avec son goût immodéré pour les asados. Il est évident que la romancière dénonce la barbarie humaine vis-à-vis des animaux dans cette fable nauséabonde sous forme d'apologue et le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne fait pas dans la dentelle. Ses descriptions sont d'une précision extrême, notamment pour décrire les rituels d'un abattoir (qui étaient déjà montrés dans Le sang des bêtes de Franju, en 1949, soit dit en passant) et si Bezterrica cherche le malaise, elle le trouve évidemment, se vautrant, le mot n'est pas trop fort, dans l'atrocité. De quoi donner la nausée mais c'est bien entendu le but. On peut d'ailleurs s'interroger sur cette littérature qui vise à montrer les plus mauvais côtés de l'humanité, à l'instar du détestable (ok, pas pour tout le monde) My absolute Darling. Ceci dit, le style glacial de l'auteure et sa capacité à créer un personnage très fort et ambigu, atténue quelque peu les grandes réserves que l'on est susceptible de faire quant à la qualité du livre et son intérêt. Quoique avec la dernière scène, choc et pas très chic, Agustina Bezterrica montre bien que c'est la surenchère dans la provocation et le sordide qui fait sa marque de fabrique.