Dépourvu de filtre, mais pas d'artifice

Cet avis comporte des SPOILERS, je ne vous recommande donc pas de le lire si vous n'avez pas encore lu le livre.

Hop, un nouveau livre dit feel-good dans ma besace - certes peu volumineuse. Et d'ailleurs, encore un livre à propos du café, après la lecture de Tant que le café est encore chaud.

Néanmoins, cette oeuvre m'a davantage parlé. Le style d'écriture y est déjà un peu plus fluide, me paraissant moins forcé, même si l'enchaînement entre le langage soutenu et le vulgaire, qui se retrouve chez absolument tous les personnages, n'est pas forcément toujours du meilleur goût. Ça paraît même parfois un peu forcé.

C'est d'ailleurs un autre reproche : on navigue des pensées d'un personnage à un autre, et pourtant, le style d'expression demeure cruellement le même, malgré des tentatives de variations. Pire, les rares caractéristiques de l'un ou l'autre sont sans cesse soulignées (comme le langage désuet de Fabrice, le ton verbeux de Thibault ou encore le ton "sorti d'HEC" de Guillaume). Je sais que c'est pour renforcer l'impression de connaître parfaitement l'autre - impression évidemment tournée au ridicule au fil de la navigation d'un personne à un autre -, néanmoins, cela me semble artificiel. Je pense que verbaliser ces petits riens qui créent un lien profond entre les personnages revient à annihiler leur portée symbolique.

Les histoires des différents personnages sont variées. J'aime bien le choix d'un ancrage aussi réel que la période post-covid (à mon avis, les oeuvres de fictions perdent à être aussi frileuses quant à l'évocation de cette période pourtant si universelle). Il s'agit d'un prétexte pour expliquer tous ces changements dans la vie de gens qui ont cogité des mois durant, mais aussi pour expliquer le fait que cela se produise dans un café.

J'ai vu beaucoup d'avis témoignant de la douceur et de l'humanité que dégagent les personnages. C'est, je pense, vrai, même si certains paraissent irrécupérables (Guillaume et Thibault, pour ne citer qu'eux). Néanmoins, je trouve encore une fois le ton trop forcé par moments. Le besoin de se définir en permanence, de créer des liens de manière fortuite. Car c'est un peu ce qui lie les personnages principaux de l'oeuvre (Fabrice, José et Chloé). Tous trois attendent un dynamiteur (respectivement pour trouver l'amour, pour avoir le courage de partir et pour relancer sa vie), qui se matérialise avec la vieille Jocelyne. Cette volonté de réunir ces quatre personnages - entérinant le fait que les autres ne sont effectivement que secondaires - ne m'a pas particulièrement séduit.

Je pense percevoir toute la portée symbolique que l'auteur a souhaité insuffler dans son livre, mais ça ne prend pas réellement chez moi. Le tout se cristalisant à la fin, lors de laquelle Jocelyne s'adresse à nous et nous propose de mettre en perspectives nos existences et de lui en parler.

C'est peut-être ça qui exprime le mieux ma frustration de l'oeuvre : j'en retire un plaisir certain, la lecture étant agréable, mais pas une leçon de vie à plier bagage pour me découvrir dans l'ailleurs et l'autre sans tarder. J'ai pourtant l'impression que c'était l'effet recherché par l'auteur, et qu'il me pointe régulièrement du doigt certains passages en me disant "t'as vu, là, ça fait réfléchir quand même". C'est d'ailleurs amplifié par certains messages sociétaux sortis un peu de nulle part par moment et qui ont pu me sortir de l'oeuvre (mention au fait que Fabrice ne puisse pas croire que quelqu'un qui s'appelle Ahmed et est un ex-dealer puisse être cuistot végétarien, ou encore à Jocelyne ou l'histoire de Manon dont le fait qu'elle ait fait partie d'une association d'aide aux migrants n'apporte rien). D'autres étaient plus à propos, comme l'histoire de harcèlement ou même le côté féministe avant l'heure de Jocelyne, mais le tout mis bout à bout finit par devenir indigeste.

D'ailleurs, en parlant de Manon, je trouve le placement de son histoire quelque peu étrange. Il se situe à la fin, au moment où l'on pense que l'histoire se focalisera désormais sur nos personnages principaux et alors qu'on a cessé de découvrir de nouvelles pensées. Peut-être s'agissait-il de répondre à une nécessité d'une histoire d'amour concrète qui s'écroule - ce qui n'était pas trop le cas des autres récits jusqu'alors -, mais ça casse le rythme que prenait alors le roman. Je n'y vois pas forcément d'inconvénient, la navigation entre les personnages m'ayant parfaitement tenu en haleine au début du roman, mais le choix me paraît tout de même discutable.

J'ai l'impression de n'avoir parlé que des points négatifs, donc petit retour sur les points positifs : le style d'écriture est agréable et plus personnel que celui d'autres livres feel-good. Les personnages sont bien développés par rapport au temps qui leur est alloué, et la notion d'appropriation de son passé est bien mené. De même pour l'inévitable impression de connaître par coeur les autres et de leur prêter de fausses intentions par projection. C'est, je pense, le thème le plus intéressant à soulever avec un tel choix narratif, et c'est à mon avis réussi.

En bref, je dirais que c'était une lecture agréable, fluide, mais je ne pense pas qu'il m'en restera grand chose. J'ai néanmoins particulièrement apprécié le personnage de Fabrice et ses interactions avec les autres, et j'ai pris plaisir à découvrir les passés de chacun.