California Girls est un roman que l'on pourrait apparenter à un thriller paru en 2016 et écrit par Simon Liberati. Écrivain français réputé pour son premier roman Anthologie des apparitions , il est - pour ceux d'entres vous qui regardiez encore la télévision en 2004 - ce sosie de Phillipe Poutou en veste en cuir qui , sur le plateau d'Ardisson , arriva avec aux articulation la lenteur caractéristique de ceux qui boivent et constatent leurs alcoolismes sans pouvoir rien faire d'autre qu'amortir leurs mouvements - provoquant de ce fait l'hilarité générale sur le plateau et faisant de cette entrée un extrait tout à fait mythique de la télévision française. Je me souviens surtout m'être dit , en retrouvant cette séquence sur la chaîne youtube de l'INA , que j'adorerais posséder , saoul , l'éloquence et la placidité de cet homme qui arrive - peut-être grace à la magie du montage ; peut-être sans - à traiter de son livre sans ciller , à faire une promotion tout à fait correcte. Gravitant dans la sphère de Fréderic Beigbeder , Liberati n'est pas un auteur qui fait l'unanimité.
Pourtant , voilà deux ans , ce dernier publia un livre presque prémonitoire. Ce livre c'est California Girls.
Nous sommes en 1969. En cette ultime année de la sixième décennie du XXeme siècle , l'histoire s'écrit mois après mois. De l'élection de Nixon en Janvier , au premier pas de l'homme sur la Lune en Juillet , en passant par les émeutes de Stonewall et le festival de Woodstock , c'est en fait toute la mythologie américaine qui se bâtit. Pourtant , cette année est la dernière pour tout un pan de la jeunesse et pour la contre culture en elle même qui des l'année suivante entamera une longue traversée du désert jusqu'à la révolution conservatrice Reaganienne des années 80 qui verra tout bonement sa disparition de la surface de la Terre. Car durant l'été , les Etats-Unis vont être confrontés à une barbarie qui viendra éclabousser le monde fantasmatique d'Hollywood , c'est à dire dans l'esprit même de la population. Ces événements ce sont les meurtres de la Famille Manson.
Pour rappel , dans la nuit du 9 Août , l'actrice Sharon Tate enceinte de huit mois , le coiffeur Jay Sebrings , le producteur Wojciech Frykowski et sa fiancée Gibbie , et un jeune homme du nom de Steve Parent sont sauvagement assassinés dans la demeure de 10050 Cielo Drive sur les hauteurs de Los Angeles. Le lendemain , c'est au tour d'un riche couple - les LaBianca - d'être massacrés de manière similaire. Presque au même moment , le professeur de musique Gary Hinham est lui aussi assassiné. Quelques temps plus tard , un visage viendra incarner ce bain de sang ; celui d'un certain Charles Milles Manson , musicien orienté surf rock , proche de Dennis Wilson , qui ne connaîtra jamais le succès et qui finira par se retrouver dealer de drogue et gourou new age complètement givré d'une communauté basé au ranch Spanh. Visage devenu iconique au fil du temps , on a pourtant tendance à oublier que Manson n'a jamais tué aucune de ces personnes. Il laissa cela à quelques disciples , dont de jeunes , trop jeunes femmes , toutes membres de sa Famille , et qui voyait en Manson la réincarnation du Christ.
C'est d'elles que parle ici Liberati.
Avec la mort de Charles Manson l'année dernière , et la sortie très attendu d'un film de Tarantino qui explorera les meurtres l'année prochaine pour les 50 ans de la mort de Sharon Tate - acte marketing tout à fait discutable - , j'ai eut l'impression qu'il était important en tant que jeune homme vivant en un monde tout à fait résigné , sombre , moralisateur et cynique au possible de comprendre où pouvait se situer le nœud de ce problème que je pourrais appeler "la vie au XXIem siecle". Quel serait l’événement qui a bien put rendre nos aînés aussi aigris , ceux qui pataugeaient dans la boue de Woodstock et se battaient fermement sur les barricades du quartier Latin ? Je pense honnêtement que les meurtres de la Famille sont le berceau de ce retour à l'ordre morale que nous connaissons et subissons. En se faisant le visage le plus médiatisé d'une jeunesse pourtant intense et intéressante , en se réclamant de la mouvance hippie , ce blaireau de Manson a assombri un monde qui commençait à prendre - pour la première fois - la bonne voie. Instrument d'un état Américain qui rentrait dans les années paranoïaque de Nixon avec au cœur l'espoir d'écraser cette jeunesse pacifiste et contestataire , Manson a instrumentalisé ces jeunes femmes en utilisant , et c'est cela qui est intéressant , la technique qu'utiliserait aujourd'hui n'importe quel état ou homme providentiel , en s'érectant dans l'esprit de ces jeunes femmes comme l'espoir ou l'ultime rempart à la barbarie. Barbarie qu'il ne fera qu'aggraver.
...Oui , c'est compliqué. Et Liberati le reconnait : tout cela n'a pas de sens. Manson n'était pas le beau diable hyper charismatique qu'on a bien voulu faire croire de lui de son vivant , mais bien un pauvre aspirant folkeux rempli de haine qui était tout juste bon à mettre le grappin sur des gamines inconscientes en les baisant à répétition jusqu'à ce qu'elle n'ait plus aucun sens critique. Le livre décrit les meurtres en usant de tout les ressorts du réalisme sale , mais traite aussi de l'époque , et du futur surtout , de ce qui découlera des actes inconsidérés de ces jeunes filles.
Le livre est fascinant et nerveux. C'est un pur régal , malgré une fin des plus floues. S'étalant sur les 36 heures que durèrent les meurtres , le roman se fait pont. Pont entre les Beatles et Black Sabbath. Pont entre Kennedy et Reagan. Pont entre espoir et abandon. Liberati démontre ici , avec ce manifeste d'une époque qui va rentrer en combustion , qu'il est un auteur passionnant.