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Cataloguée comme « comédie » (il faut bien opérer quelque classement taxinomique pour que le public s’y retrouve), « Camarades » constitue une charge assez virulente de Strindberg contre le féminisme et les prétentions des femmes à égaler les hommes. Ce qui fonde le côté « comédie » de cette œuvre, c’est l’outrance du nombre de situations mises en scène, au cours desquelles hommes et femmes s’affrontent.


Visiblement agacé par l’émergence d’un mouvement émancipateur des femmes en cette fin de XIXe siècle, Strindberg emploie les grands moyens pour ridiculiser leurs revendications. Théâtralement parlant, il s’arrange pour donner à voir un très grand nombre de situations – en général au sein d’un couple – dans lesquelles les femmes sont croquées dans leurs raisonnements hargneux, narcissiques, souvent contradictoires, leurs manœuvres perfides par lesquelles elles tentent de circonvenir les hommes et leur arracher ce qui les intéresse : argent, célébrité, promotion sociale, éventuellement amour (mais qu’est-ce que c’est, au juste ?).
Toutes ces manœuvres et manigances sont mises en évidence par Strindberg – qui défend clairement le point de vue masculin – avec une belle économie de moyens : pendant cinq actes, c’est une véritable encyclopédie des conflits homme-femme qui est exposée par un nombre très réduit de personnages. L’invraisemblance vient du fait qu’ils collectionnent tous les prétextes pour s’affronter.
Les personnages majeurs sont Bertha, jeune artiste-peintre, mariée à Axel, (même statut social) ; Elin Abel (en fait, représentée sous le nom masculin d’ « Abel »), amie de Bertha, et comme elle artiste et féministe ; le Docteur Oestermark, qui est certes là pour soigner, mais qui, plus âgé, en a vécu de belles avec les femmes ; et Axel Ahlberg, jeune peintre.
Les relations qui s’établissent entre les personnages sont conditionnées par les revendications tonitruantes de Bertha et d’Abel. Ces deux femmes sont habillées de manière masculine (cheveux courts, pantalon) ; elles veulent bien avoir des relations d’égal à égal avec les hommes (d’où le titre de la pièce, « Camarades »), mais elles ont horreur qu’on leur rappelle qu’elles sont des femmes, et particulièrement lorsqu’un quelconque de ces Messieurs entreprend de les courtiser ou de les embrasser. Ce qui leur convient, c’est une relation intellectuelle, désexualisée, ce qui ne va pas sans contradictions. En effet, bien que détestant être l’objet d’assauts amoureux, elles veulent bien être aimées quand même (résoudre cette équation du cinquième degré, vous avez quatre heures...).
La pièce est orientée de manière à défavoriser les femmes : d’abord en position dominante (elles n’acceptent que des hommes « féminins » (frêles, mignons, blondinets) ou féminisés (l’un d’eux accepte de s’habiller en femme)), elles finissent par tout perdre à cause de leurs récriminations incessantes : séparations de couple, amour remplacé par la haine, etc.
De nombreux motifs de conflits entre sexes se succèdent dans la pièce. Le principal est la rivalité artistique entre Bertha et Axel : pendant un moment le spectateur croit que Bertha voit son tableau accepté au Salon des Beaux-Arts, alors que celui d’Axel est refusé. Pourtant, Strindberg se permet in fine un coup de théâtre à ce sujet.
Le portrait-charge de ces féministes évoque quelque peu les caricatures du XIXe siècle représentant George Sand en pantalon, en train de fumer, ou encore Madame allant siéger à l’Assemblée, pendant que Monsieur, en robe de chambre et tablier à dentelle, fait le ménage et torche le gosse. Ou encore les révoltes, plus récentes, et encore plus radicales, d’une Monique Wittig ou d’une Hélène Cixous. La susceptibilité éruptive et acide de Bertha, dès qu’on insinue qu’un homme pourrait être supérieur à une femme, n’est pas sans évoquer les discours enflammé de ces militantes du MLF, dont le résultat a été de dégoûter même les hommes les mieux disposés en faveur de leur cause. Les quelques réformes féministes sont dues à des voix beaucoup plus modérées...
Bien des passages sont savoureux si l’on accepte cette atmosphère de polémique permanente : un écrivaillon, très « féminisé » par Bertha et Abel au point qu’un tiers l’appelle « charmante enfant », tandis qu’il donne du « Messieurs » à Bertha et Abel. ; on a droit à plusieurs échanges sur la séparation des biens entre époux, sur l’autonomie financière de la femme, sur le divorce, sur les pensions alimentaires, sur la concurrence que les femmes font aux hommes sur le marché du travail ; ainsi qu’à des scènes de ménage, d’une mesquinerie assez irrespirable, sur la gestion de l’argent du couple, sur la liberté de chacun au sein du couple... Chacun y va de sa tirade sexiste, et on peut se demander comment ces gens-là acceptent de se rencontrer, tellement ils se prennent mutuellement pour des gens indignes de confiance. Le seul couple qui fonctionne, celui d’un certain Carl, est précisément celui où l’homme a d’emblée imposé son autorité à sa femme...
Strindberg confirme, après « La Femme de sire Bengt », son engagement antiféministe, et les pièces qui vont suivre décriront aussi bien les difficultés à créer un couple que les pièges que tend la femme pour parvenir à ses fins libidinales. Homme ou femme (assumés ou pas), chaque spectateur pourra retrouver dans cette pièce l’évocation de quelque situation qu’il a connue ou qu’il redoute.
khorsabad
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le 21 août 2016

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