Petit ouvrage lu trouvé au hasard, lu rapidement. J'ai beaucoup d'affection pour les discours qui portent sur la critique - de cinéma notamment (des gens comme Serge Daney, Emmanuel Burdeau, François Bégaudeau et consort). C'est quand même quelque chose de bien embarrassant que cette activité qui n'intéresse personne, ne sert franchement à rien, et qui est un peu nombriliste sur les bords. Et pourtant, se déploie la défense d'une poétique de la critique, une critique artiste, bref : la critique comme un art.
Sans prétendre hisser sa pratique de la critique comme celle d'un artiste, Arnaud Vivant a le mérite de proposer un ouvrage plaisant à suivre, innocemment érudit et qui pense. Plus que des idées assénées à coups de marteau, je retiens surtout des pointes, quelques formules éparpillées - la forme un peu décousue de l'ouvrage aidant. Sans en faire la critique au sens noble, cette note étant simplement là car elle ne rentrait pas dans une liste, essayons de les répertorier grossièrement.
La critique a de la chance : elle n'a aucune influence sur les ventes. En cela, le critique est l'inverse de l'influenceur. Cultivons cette différence qui fait sa puissance et son art.
Reformulons : la critique est forte quand elle fait vendre le journal, pas quand elle fait vendre le livre. Horizon intéressant.
Définition possible de l'activité critique : "montrer des traces, non inventer des preuves" (peut-être Blanchot, je cite de façon hasardeuse). Toujours Blanchot, sans guillemet : la critique est un genre littéraire ; le critique est un poète qui s'approche de la poésie par le non-être, en ce sens qu'il ne veut pas être poète, il dit "oui", "mais non" à la "littérature".
La critique se lie mal avec la poésie : la poésie ne s'adapte pas à la lecture cursive requise pour être critique ; ou l'inverse, c'est le critique qui ne s'adapte pas. À trancher.
Si tout le monde ne peut pas être artiste, un artiste peut surgir de n'importe où - c’est Ratatouille.
Joie dans la peine : parce qu'elle pèse moins qu'avant, la critique est moins corruptible. C'est l'écriture d'une lecture.
Aujourd'hui, c'est le libraire qui est maître, c'est lui qu'on écoute.
Formule heureuse : "Faisons comme tout le monde quand il s'agit de parler des Lettres : parlons chiffres".
Période néo-libérale où le désir de lire est disjoint de sa réalisation : tristesse. Pierre Bayard - triste, lui aussi. "Comment parler des livres qu'on n'a pas lus", on aimerait plutôt savoir pourquoi.
Devenue industrie, la littérature ne peut plus être critiquée. Devenue un métier, l'écriture est devenue difficilement critiquable : on s’attaque au gagne-pain d’un x.
Constat : l’édition a gagné sur la critique : « qui ne peut prendre parti doit se taire » (Wittgenstein).
L’illisible, c’est l’hyper-visibilité, c’est ce qui glisse. La littérature, elle, opacifie.
Critique : défense de l’esprit humain contre les automatismes.
Daney parle de productions incriticables pour définir ces oeuvres dont le succès relève de la sociologie et du marché, et non pas de l’art : pensée.
Littérature et critique ; critique de la littérature. Au fond, la littérature s’est plus intéressée à la critique que l’inverse : là, la critique artiste, la critique comme art.
Aujourd’hui, plus de gens qui écrivent que de gens qui lisent.
La lecture est avilissante, passive : ineptie. Vaine et fausse opposition que celle dressée entre l’activité de l’écriture et la passivité de la lecture.
À cette époque, la résistance et la grandeur de la critique est peut-être de lire les oeuvres à la place de ceux qui préfèrent les écrire : activité transmettrice.
Arnaud Viviant n'est peut-être pas le meilleur critique de son temps, et de toute façon, je ne le connais pas. Mais la forme de l'ouvrage qui bazarde des idées à tout va est intelligente : sur le temps de la lecture, ça pense - le texte.