Pour un nouveau roman est un recueil qui suinte l'hypokhâgne, et de partout ça dégueule de l'hypokhâgneux, à droite, à gauche, par devant et par derrière. Et quel malheur. Souvent utilisé par les professeurs pour caricaturer le Nouveau Roman, en souligner les excès - présumés -, et passer sur la lecture des textes à proprement dit, ce petit recueil a en fait aujourd'hui l'effet inverse de ce pour quoi Robbe-Grillet l'a composé.
Il faut le dire : à côté des Duras et des Simon, la postérité de Robbe-Grillet est un peu - pour ne pas dire tout à fait - en retrait. Peu lue, caricaturée à l'envie, son oeuvre condenserait à elle-seule les écueils prototypiques et insupportables du Nouveau Roman : ce dernier serait illisible, froid, formaliste, inhumain. Face à ces généralisations abusives et idiotes, il est urgent de relire les textes contenus dans ce petit livre. Ne serait-ce que pour en finir avec cette vision étriquée du roman, mais aussi pour redécouvrir un auteur essentiel et passionnément formaliste.
Robbe-Grillet reprend à traverse ses articles les points que la critique reproche - et ne comprend pas - au Nouveau Roman, tout en soulignant ce qui en fait la spécificité, notamment autour de la question de la description. Dans l'article final, il synthétise le tout : le roman n'est pas une théorie, mais une recherche de formes nouvelles ; se perdre dans le Nouveau Roman, c'est se perdre dans le monde ; il n'y a pas plus subjective que l'objectivité du Nouveau Roman ; le roman refuse la signification toute faite.
Bien sûr manque la confrontation avec les textes, la théorie est toujours un peu en-deçà. Le texte opère toujours son propre glissement, sa propre recherche, son propre sens.
À force de perdre pied dans le Nouveau Roman, les gens s'en sont éloignés : ce qui se refuse à moi, je le refuse moi-même pour ne pas perdre la face.
Et pourtant comment ne pas voir la force du Nouveau Roman. Loin du pessimisme caricatural (il n'y a plus d'Homme avec ce grand H ; plus de signification), redisons que la fin des significations figées n'est pas un pessimisme : le Nouveau Roman reporte sur l'homme tout son espoir : c'est par les formes qu'ils crée qu'il peut apporter au monde des significations - qui ne lui sont pas préexistantes. Le Nouveau Roman, c'est avant tout un refus de l'ordre préétabli. Les choses sont là et ne sont rien d'autres que des choses : les descriptions qui parsèment le Nouveau Roman sont une limitation, elles refusent tout au-delà de l'objet, et coupent toute possibilité d'en construire un.
De très belles pages sur la politique également et sur l'amoralité du l'art. L'art ne sert à rien s'il est soumis d'emblée à un projet politique : on ne fait pas une oeuvre avec une idée en tête à faire passer. La richesse de l'art tient à ce qu'il ne connait rien d'avance. Avant l'art, il n'y a rien. C'est dans ce rien que l'Art peut peut-être le mieux servir la cause politique, la cause de la liberté comme le dit Robbe-Grillet - et mieux que moi. C'est dans ce formalisme mathématique que se libère sa non-maitrise : ce dispositif particulier respire la vie et la littérature. C'est là que se jouent les chefs-d'oeuvres de Robbe-Grillet : Les Gommes, La Jalousie.
Tirons enfin parti des enseignements de Robbe-Grillet lui-même : dépassons le Nouveau Roman. La littérature se fait dans l'invention des formes nouvelles, elle ne cesse de se chercher, et c'est là que tout se joue. "Tout", c'est-à-dire la littérature.