Caraval
7.2
Caraval

livre de Stephanie Garber (2017)

Il me semble temps de revenir sur ma première critique, près de deux ans après ma lecture. "Caraval" a été lu alors que je débutais dans ma profession de libraire jeunesse. Il avait donc des airs novateurs dans le temps, mais depuis, je constate quelques éléments qui aujourd'hui me plaise beaucoup moins et dont j'estime devoir revenir, histoire de rester cohérente avec mon opinion. Ça ne m,arrive pas souvent de devoir refaire mes critiques...bah, il faut une première fois à tout!



Scarlet et sa sœur Donatella sont sous le joug d'un père cruel, qui les obligent à vivre sur leur île selon ses règles. Scarlet tentera à sept reprises de faire venir "Caraval" sur leur île pour sa sœur. Sept ans passent et Scarlet est obligée d'épouser un conte. Légende, maître de Caraval, lui écrit pour les inviter elle, sa sœur et son fiancé à venir sur l'Île où se tiendra leur nouveau jeu. Scarlet tente de convaincre sa sœur d'oublier leur chimère d'enfance, mais à avec l'aide de Julian, un marin excentrique, Donatella fait "kidnapper" son aîné pour enfin échapper à leur père tyrannique et atteindre Caraval. Cette année, après tout, le gagnant du jeu se verra octroyer un vœu. Toutefois, comme le dit Légende: "On fera tout pour que vous soyez transportés, mais garde à vous laissez emporter". Les illusions de Caraval auront-elles raisons de Scarlet?



L'univers reste d'un point de vue imaginaire assez joli, un monde de magie où on retrouve de belles descriptions ( dont celles des tenues) . Le personnage de Scarlet voit ses émotions en couleur, ce qui est une première! Selon moi, là est la force du roman, son univers coloré et son "Caraval" mystérieux. Je dois cependant dire que j'ai mal cerné ce "qu'est" Caraval. Un jeu, oui, c'est ainsi que l'on présente cet espèce de Grandeur Nature magique aux accents de cirque, de grand marché central et de Carnaval vénitien. Mais encore? Dans cette version-ci de Caraval, Dona est enlevée et il faut la retrouver, ce qui constitue la "quête" principale de tous les participants. Ce qui me laisse penser à ces jeux grandeur nature qui soumettent des gens à des scénarios. Mais dans les faits, le jeu de pistes n'en est pas un, pas plus qu'une enquête dûment suivie. On se perd dans des péripéties qui n'ont pas de logiques entre elles, de sorte que mit à part courir partout, magasiner et se laisser divertir comme dans un festival, le jeu se fait rapidement occulter par la romance. Dommage, c'était la raison même de ma lecture, ce grand jeu. Qui plus est, les "illusions" sont assez simples à comprendre: Ne faites confiance à personne. Et bien sur, notre protagoniste va faire confiance à tout le monde. On peut deviner facilement que le personnage masculin Julian fait partie intégrante du scénario, qu'il en est un acteur, non seulement à cause de son physique avantageux, aussi car aucun type sain d'esprit ne s'encombrerait d'une petite bourgeoise comme Scarlet...à moins d'une bonne raison.



Comme bon nombre d'héroïnes des années 2010, Scarlet n'est pas très intelligente, ni débrouillarde, à la manière de Cassia, de "Promise" ou America, de Sélection ou de tous autre roman fantastique impliquant une jeune femme, j'ai presque envie de dire. Une jolie poupée naïve qui va devoir compter sur des aides extérieurs pour la guider, sur une chance miraculeuse et une magique accommodante. Histoire de bien nous faire comprendre qu'elle est une pauvre petite chose fragile, on nous dépeint une histoire de père dictatorial, cruel et opportuniste, qui a gardé ses deux filles sous son domaine cossu, histoire de mieux s'en servir pour d’éventuelles tractations maritales. Comme le typique despote noble, quoi. Scarlet a d'ailleurs un prospect de mari qui la traque, et bien sur, ce n'est pas un beau jeune homme ténébreux et sexy, point du tout. Et bien sur, elle ne connait rien du monde, il lui faut donc compter sur Julian pour l'éclairer. Ça m'agace, car c’est fréquent de voir des personnages féminins se comporter comme Scarlet. Comme si les héroïnes étaient incapables de pouvoir élaborer des stratégies, investiguer intelligemment, gérer leurs émotions ou avoir la plus élémentaire faculté de déduction. C'est bien plus simple de leur coller un beau mâle bellâtre et polyvalent dont elle tombent systématiquement amoureuses.



Son histoire d'amour pour le mystérieux ténébreux de service ,le genre que j'ai beaucoup trop croisé pour mon bien-être mentale, est pour ma part infiniment prévisible. Ce qui est malheureux, je constate, est ce que j'appelle aujourd'hui "L'Impératif masculin", cette survalorisation et centralisation du prospect mâle dans la littérature ado et jeune adulte. Contrairement aux personnages masculins, pour qui l'amour est un complément, "l'héroine" ne peut rester célibataire et son évolution va dépendre de la présence d'un beau mâle obscure pour la secourir ou lui mettre du plomb dans la tête. Il y a aussi une forte présence d'auto-apitoiement qui peut devenir rapidement agaçant, surtout en relecture. Lors de ma première lecture, j'ai cru voir un lien avec sa sœur, mais rétrospectivement, mis à part son excessive angoisse à la retrouver, je ne trouve pas beaucoup de force à leur lien. Ça manquait de viande. Je le constate car j'ai trouvé des histoires réellement poignantes sur des sœurs où la puissance de leur lien était palpable. Enfin, je déplore que la seule version vraiment chouette de sa robe changeforme fut la première, celle "couleurs promesses" (Fuschia). Le reste de sa garde robe n'avait rien de joyeux ou de coloré, elle devenait souvent tristounette, angoissée, maussade, perdue, terrifiée, etc, dans des tons déprimants. Bref, c'était une super idée de faire jouer la carte émotionnelle par le vêtement, mais le registre était trop souvent terne et négatif.



J’essaie de me rappeler ce qu'il avait de si nouveau ce roman sans mettre le doigt vraiment dessus. Le scénario ne coule pas de source, nous naviguons avec notre angoissée personnage à travers ses recherches maladroites, ses états d'âmes et le décor, qui lui est très vivant! Je n'ai pas compris l'explication de la survie de Dona après une chute mortelle grâce à la "magie". Oui, laquelle? Caraval permet les résurrection où l'amour dans Caraval est un remède à la mort violente et inopinée? Pas clair, mais fort pratique. Le "futur mari" qui débarque avec le père m'a semblé sortir de nul part. Oh, il y aussi le personnage absent nommé "Légende", le maitre d’œuvre de Caraval, qui est nommé fréquemment, mais n'apparait jamais, le seul personnage qu'on ne peut donc pas "lire". Ses motivations m'ont semblé nébuleuses. Enfin, toute l'explication de cette vaste mise en scène pour "aider" les sœurs ( surtout Scarlet) a s'émanciper avait quelque chose de mou et décevant, pour la simple raison que "libre et émancipée" n'est pas exactement ce qui décrirait le mieux ladite demoiselle. Donc, théoriquement, toute cette quête du "vœu" pour le gagnant, c'était donc déjà décidé? Hum...Là encore, je ne suis pas sure de tout saisir.



Bref, il y a plusieurs éléments intéressants dans les décors et dans le traitement des émotions par couleurs, ainsi que dans l'idée de Caraval en elle-même. Néanmoins, décrire ce qu'est Caraval serait laborieux, parce que l'autrice ne nous donne pas clairement de topo à ce sujet. En première lecture, on a trop à gérer, alors on peut se retrouver à tout expliquer par la "magie". Une part est magique, assurément, mais tout le volet "jeu" est beaucoup moins claire. Surtout pour un jeu qui implique autant de mondes et où très peu d'indices sont mis à la dispositions des "joueurs", qui déambulent joyeusement et chaotiquement plus qu'autre chose. Le volet romance est déjà-vu, et pas qu'un peu! Si Caraval avait été le seul du genre, il serait resté dans ma tête comme un fantastique un peu très guimauve, mais additionné aux innombrables romans ado avec une pauvre petite fille "spéciale" coincé entre deux mâles, ça perd beaucoup en originalité. Enfin, même la mise en garde "Ne vous prenez pas trop au jeu" était au final assez inutile pour Scarlet, car elle ne s'est pas simplement prise au jeu, elle s'est aveuglement empêtré dedans.



Pour un lectorat à partir du premier cycle secondaire, 13 ans+.




Shaynning

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