Cartographie des nuages par Nanash
Quel est le point commun entre un notaire américain du siècle dernier et une déesse du futur ? Ce livre va vous l'expliquer. Il est tellement compliqué de parler de ce roman sans s'embrouiller qu'il me faut en commencer la critique par cette pirouette.
David Mitchell nous propose de suivre six romans en un avec des passerelles suivant le fil chronologique. L'exercice de l'auteur se porte aussi bien sur les héros que sur le style et la construction de chacune des parties.
On commence donc par un notaire du siècle dernier embarqué dans les Caraïbes infestées de pirates et qui écrit son journal de bord, puis sur la correspondance d'un compositeur anglais du début du siècle en exil Belge. On enchaîne ensuite sur un polar, une autobiographie, un rapport de police et pour finir un conte rural.
A chaque fois, le lien existe, à chaque fois il est inattendu et intelligent et à chaque fois la virtuosité de l'auteur dans le travestissement de son style est telle qu'on dirait chaque partie écrite par quelqu'un d'autre. Dans le détail, le rapport entre les personnages est ciselé avec précision. L'ordre des parties nous fait monter dans les âges puis redescendre, de façon macroscopique ce roman est une pyramide. Lorsque l'on comprend cela, le schéma général apparaît et les similitudes entre le "premier" et le "dernier" récit sont criantes, de pyramide chronologique il s'agissait en fait d'un cercle où le début pourrait rejoindre la fin. Ce n'est que mon interprétation, je ne vous dévoile rien n'ayez crainte.
[Pour ceux qui l'ont lu] Les destins des Moriori dont est issu l'indigène qui sauve Adam et de la tribu post-apocalyptique de Zachry sont quasiment identiques (Menace de l'esclavage, non violence institutionnelle, présence sur les îles du Pacifique...).[]
Le roman est résolument ambitieux et nombreux sont les auteurs qui se seraient plantés. Mitchell prend son temps dans la narration et certains passages auraient gagnés à être raccourcis. Ayant entendu parler de ce roman à la suite de la sortie de son adaptation au cinéma, je pense que l'on peut s'estimer heureux que ce soit les Watchowski qui s'y collent plutôt que Mamoru Oshii...
La traduction est admirable car elle devait être complexe puisque les termes utilisés vont de la navigation d'il y a 150 ans aux trouvailles lexicales du futur en passant par un horrible dialecte rural imaginaire (?). Mention spéciale au récit se déroulant dans le futur où les noms communs sont remplacés par des noms de marque (si on allait acheter un nouveau sony après avoir fait le plein d'exxon dans la ford ?). Je ne dirai plus jamais frigidaire, si je l'ai déjà dit un jour.
Une oeuvre absolument dingue qui, sous son aspect bordélique, se révèle en fait d'une précision et d'une envergure incroyables. Il faut que je lise autre chose de David Mitchell. 10/10.