de l'homme civilisé à l'homme naturel : histoire d'un aller retour
Ce livre est d'une étrange facture. il raconte les efforts surhumains d'un homme blanc obligé de survivre parmi des aborigènes d'Australie dont il ignore tout. Mais, ce n'est pas tout. Par fragments entrecoupés, l'ouvrage retrace aussi le calvaire qu'endure ce même homme dix-huit ans plus tard, pour tenter de se réhabituer à la vie dans le monde "civilisé" que constitue la France Napoléonienne dont il a absolument tout oublié, comme si sa mémoire avait été rebootée.
Outre ces éléments d'ordre structurel qui font l'originalité de ce livre et qui l'empêche d'être le n-ièmre livre sur les naufragés forcés de s'accommoder d'une vie primitif, le livre est une réflexion sur l'anthropologie.
J'ai aimé ce personnage du sauvage blanc, car il incarne la générosité et la sincérité (avec justesse et non style mythe du bon sauvage) et est vierge d'arrière-pensées. Son séjour parmi les Aborigènes l'a rendu totalement étranger à tout ce qui fait le fondement de la société dans laquelle nous vivons : l'argent au coeur de nos échanges / la propriété qui conditionne notre rapport aux choses / La nécessité de pudeur qui orchestre nos rapports sexuels (passage étonnant sur ce thème). Mais le sauvage blanc a perdu ces repères qu'il avait intégré. A travers ses yeux écarquillés, notre monde nous apparaît absurde. Par ailleurs, on voit aussi le sauvage blanc qui s'habitue peu à peu à sa vie en forêt australe et avec lui nous nous attachons aux deux personnes qui interagissent avec lui : un jeune garçon qui lui sert de petit frère malicieux et une vieille femme qui sans jamais parler le soigne, lui donne à boire et à manger et lui apprend à se protéger du froid.
J'ai été surprise par l'autre personnage de ce roman. C'est le géographe qui a recueilli le sauvage blanc avec pour mission de le réinsérer dans la société. Ce géographe est une personnage complexe qui est mu par deux désirs qui s'opposent. D'un côté, il est touché par la vulnérabilité du sauvage blanc et il souhaite l'aider fraternellement. D'un autre côté, le géographe est fasciné par le sauvage blanc en tant qu'objet anthropologique inédit, objet qui pourrait bien lui permettre de conquérir auprès de la société nationale de géographie le prestige dont il a toujours rêvé. Au fil du texte on voit alternativement l'une et l'autre de ces facettes dominer, jusqu'à ressentir du pur dégoût par le perso, dans mon cas.
Le livre est aussi un moyen de plonger dans les interrogations qui entourent d'un halo inquiétant toutes les expériences et observations qui ont été menées sur les habitants des nouveaux territoires découverts. Le livre suggère mais laisse en suspens un certain nombre de questions comme :
-Chercher à comprendre les aborigènes, c'est le seul moyen de sauver leur mode de vie. Cependant les étudier, c'est au contact des scientifiques, les condamner à ne plus jamais être les mêmes.
-Quand un homme porte en lui une histoire qui lui est douloureuse mais qui pourrait éclairer son entourage, a-t-on le droit de le forcer à parler, ou bien doit on respecter son silence.
Au total, ce livre m'a tenue en haleine, il m'a fait voyager et il m'a interrogée. Que demander de plus ?