"C'est Socrate, mais un Socrate bête".

César Birotteau, ou le bourgeois sublime victime de la banque. César est parfumeur, marié à une femme belle et de bon sens, Constance. Il a une fille, Césarine, qu'il songe à marier à son commis, le petit Popinot, un boiteux intègre. Ombre au tableau : César a renvoyé sans le faire inculper un commis malhonnete, Du Tillet, qui fait ensuite fortune dans la banque et va organiser la déchéance du commerçant.

Le livre commence dans la chambre du parfumeur, de nuit. Sa femme, trouvant le lit vide à côté d'elle, se lève pour trouver son mari en train de faire des calculs (scène qui rappelle l'ouverture du "mariage de Figaro"). Riche parfumeur ayant fondé sa richesse sur deux produits, la pâte des Sultanes et l'Eau carminative, César, enflé par son succès, veut avaler plus qu'il ne peut : il veut ouvrir une succursale qu'il possédera à moitié et qui sera dirigée par Popineau, pour lancer un nouveau produit, l'huile Césarienne. Mais il veut aussi investir pour 200 000 francs dans des terrains de la Madeleine destinés à doubler en prix sous six ans. Pour cela, il se met en affaires avec un imposteur, Claparon (derrière lequel se cache Du Tillet) et un notaire véreux, Roguin. Ajoutez à cela que César vient de recevoir la Légion d'Honneur, et qu'il compte donner un bal somptueux qui lui coûtera 60 000 francs.

La première partie, assez ardue, noue toutes ces intrigues,qui sont bien plus détaillées que je ne l'ai résumé et vont dans le détail de la comptabilité, des manoeuvres bancaires, des calculs sur profit. Il faut être comptable pour en mesurer tout le sel, et dieu sait que ce n'est pas celle qui retiendra le plus le lecteur, mis à part la scène du bal, qui clôt l'ensemble.

La seconde partie, "César aux prises avec le malheur", semble avoir été écrite pour verser du baume sur le coeur des entrepreneurs en faillite. On suit Birotteau, rapidement lâché par son entourage, sauf sa famille. Sa descente aux enfers, les banquiers se le renvoyant comme une balle de ping pong et le faisant attendre ignominieusement, l'obligeant à bien des avanies face au regard ironique des valets, jusqu'à cette entrevue avec Nucingen, qui se moque ouvertement de lui en le complimentant sarcastiquement pour son bal. Dans ces passages on atteint l'intensité qui séduira un Dostoïevski. Puis vient la faillite, comme une sorte de soulagement. César décidant de passer sa vie à payer, le plan de Du Tillet, qui était d'humilier Birotteau, se retourne contre lui : Birotteau passe pour un modèle de vertu, obtient des secours, et finalement réussit à payer sa dette, ce qu'avalise lors d'une séance émouvante le tribunal de commerce de Paris. Mais en sortant, sa fille et Popinot voulant lui faire une surprise en reprenant l'ancienne maison et en organisant un bal pour leurs fiançailles, César ne peut supporter cette félicité et meurt d'apoplexie.

Si les développements comptables du début sont rebutants, la mécanique narrative est bien huilée, comme dans Pons et Bette, au point qu'on pourrait presque croire lire une nouvelle. Je retiendrai notamment la scène du premier bal, où Balzac, qui décidément avait une âme de metteur en scène, décrit l'ambiance en s'autorisant un développement sur la Cinquième de Beethoven : romancier, il essaie de mettre une musique de fond sur les scènes qu'il vient de décrire. Il va même jusqu'à réintroduire ce motif lors du dénouement où le coeur du parfumeur lâche.

César Birotteau se prêterait par ailleurs magnifiquement à une adaptation théâtrale. Il est fort touchant, ce personnage de bourgeois parvenu inculte, naïf et au grand coeur. Cela dit, André Wurmser souligne à juste titre que sa fortune n'exclue pas une certaine canaillerie : Birotteau n'est pas un saint, un agneau, d'ailleurs c'est sa femme qui semble avoir le talent commercial. Autre personnage d'ange, le commerçant Pilleraud, qui aide Birotteau dans sa faillite en le protégeant des coups les plus durs. Pour en revenir à la théâtralité, la plupart des scènes reposent sur des dialogues vifs, qui se suffisent à eux-mêmes, et qui contiennent beaucoup de comique moliéresque, comme ce coup de pied que Birotteau donne à son commis qui dit des bêtises devant un savant consulté sur les cheveux. Ou encore l'ironie balzacienne de Birotteau prenant de haut son logeur mesquin, Molineux.

Avec la scène du bal, c'est un des romans où l'on trouve mentionné le plus de personnages de la comédie humaine.

Je ne recommanderais pas "César Birotteau" à quelqu'un qui n'est pas familier avec la "Comédie humaine", le début risquerait de le rebuter. Mais dans l'analyse social fournie (que l'on peut résumer par l'opposition économie réelle/économie virtuelle), c'est un roman important.

Balzac a beaucoup de points communs avec Tocqueville : il a un rapport d'amour-haine pour la bourgeoisie, vertueuse et vulgaire.
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le 19 sept. 2013

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