Ce titre et ce sujet sont évocateurs pour tous ceux qui ont grandi dans un espace non urbain, ou non périurbain, et qui l’ont quitté une fois le bac en poche. Particulièrement du Grand-Est puisqu’il s’agit de ça. S’agissant de l’espace enquêté, il est particulièrement gâté en matière d’absence de perspectives économiques, de services publics modestes, ou même de disparition des espaces de rencontres fortuites et festives que sont les bistrots.
Mais souvent la différence reste plutôt de degré que de nature et l’on reconnait facilement des configurations sociales qui peuvent exister dans des endroits un peu mieux dotés. L’auteur tient cependant à faire la différence entre “campagnes en déclin”, de campagnes plus attractives, avec une activité touristique, des résidences secondaires et des néo-ruraux qui s’y installent. Il ne reconnaît donc pas la pertinence d’un ensemble unique appelé “France périphérique".
La démarche de l’auteur a ceci d'intéressant qu’il a vécu dans l’espace enquêté pendant l’ensemble de l’étude, et qu’il provient aussi d’un “coin paumé” de la même Région. Cette connaissance intime de son sujet se ressent par la diversité des pistes qu’elle lui permet d’explorer ; du fait de la proximité avec ses enquêtés, auxquels il a pu se joindre à de nombreux moments de la vie quotidienne, festive, des coups de main, en plus des entretiens strictement personnels qu'il a réalisé pour l’étude.
Dans l’espace enquêté, il y a ceux qui restent, en opposition à ceux qui partent. Ceux-là correspondent chacun à deux sociotypes bien distincts. Ceux qui restent sont plutôt des hommes, ne s’étant pas intégré à l’école et qui se vouaient plutôt à des métiers manuels. Ceux qui partent sont plutôt des femmes, qui ont un meilleur niveau scolaire et qui peuvent donc intégrer des études supérieures, dans des grandes villes à 1-2 heures de route. De là, naît pour les jeunes générations des différences dures à surmonter. Ainsi, si ceux qui partent rentrent régulièrement les premières années, ils finissent quasiment toujours par être éjecté des sociabilités locales, quand ils ne le font pas d’eux-mêmes, du fait des décalages croissants entre leur nouveau mode de vie et celui de leur milieu d’origine. Parmi ceux qui restent donc, s’installe une certaine homogénéité sociale qui n’ouvre pas beaucoup aux perspectives des modes de vie extérieurs.
De ce tableau-là découle une multitude de configurations sociales particulières que l’auteur prend le temps de nous décrire, toujours en partant de l'exemple de ses enquêtés. Il y a ainsi dans ces milieux ruraux une importance primordiale de la réputation, pour s’intégrer dans la vie professionnelle, sur le marché matrimonial, ou bien dans les collectifs de potes. Avec un rejet très fort “des cassos” - ceux qui n’ont pas trouvé leur place dans ce dur monde concurrentiel - desquels il faut toujours se distinguer un maximum. Les emplois disponibles étant plutôt masculins, le chômage des femmes est beaucoup plus important. De même, les activités de loisirs les plus communes : le foot et la chasse, sont une fois de plus des domaines masculins. Ces différents facteurs renforcent la domination masculine et l’isolement des femmes qui, une fois en couple, intègrent la “bande de potes” de leurs conjoints.
Lesdites bandes de potes sont un des centre du livre, puisqu’elles sont le centre de la vie sociale locale et le lieu où l’on retrouve des solidarités concrètes. Sur ces bandes de potes exclusives, mais aussi face à la difficulté de conserver un statut social correct, se greffe un discours qui commence souvent par “D’abord, nous”. L’auteur nous explique que ce discours, s’il met bien en avant un “Nous”, et souligne donc une importante du collectif, s’oppose à un “Eux” qui est autre. Les bases de ce rapport au monde peuvent trouver un écho important dans les discours d’extrême droite.
De nombreuses pages sont consacrées à ce rapport, en abordant la question du racisme, du rapport au travail, mais aussi ce que portent ceux qui se disent parfois “100% Le Pen” et qui sont engagés dans la vie locale. Le livre étant paru en 2019, y figure aussi la relation aux gilets jaunes qu'ils sont nombreux à avoir rejoint.
Les présentations qui nous attendent dans ce livre ne sont pas toujours celles qu’on attend, et à ce titre il mérite d’être lu attentivement. Un bon livre de sciences sociales est fait pour éclaircir des aspects du monde qui nous sont étrangers, et manifestement les campagnes en déclin qui votent RN le sont pour beaucoup de monde.