J'ai mis un temps infini avant de commencer la lecture de ce livre. Obtenu à sa sortie, je ne l'ai lu que dix ans après.
Très intéressé par ce genre de thème, le livre m'avait fortement intrigué à l'époque, et le voyant traîner et jamais ouvert, j'ai entamé sa lecture.
Je commence par les qualités. On y trouve une uchronie assez bien menée, et surtout expliquée, on nous explique clairement les raisons pour lesquelles une monarchie est en place en France en 2008, on se souviendra aisément de la révolution des années 1980 décrite par exemple. Les chapitres s'articulent de façon sympathique, alternant à quelques exceptions près entre le point de vue des deux personnages principaux, Jean et Clara, vivant leurs aventures chacun de leur côté et se croisant sporadiquement. Classiquement, l'un est un paysan qui aspire à s'élever et l'autre fait partie d'une famille noble.
J'ai lu le livre assez vite, probablement pour plusieurs raisons qui sont 1) le fait qu'il soit a priori (je détaillerai ce point plus tard) destiné aux adolescents ; et 2) le fait que l'histoire m'a plu.
On trouve aussi ici des références à l'Histoire de France, et une aventure fort sympathique comme je viens de le souligner. Ses 350 pages (j'ai l'édition originale en grand format, pas celle de poche) qui me font habituellement reculer ont été ici une agréable promenade de santé.
Passons maintenant aux points faibles.
C'est rempli de clichés. On a le pauvre paysan à la merci de tout mais aussi courageux que Kirikou face à la noble rebelle qui souhaite se défaire de sa condition matérialiste afin de vivre des aventures. Si la critique de la bourgeoise actuelle ne jurant que par les magazines de mode est sympathique, c'est peut-être l'uchronie-même que je critique.
Sans rentrer dans un jeu politique, on nous décrit le régime monarchique comme fatalement mauvais, privant de libertés tous les non-nobles. Ces derniers – il s'agit là de ce qui nous est annoncé dans les premières pages du roman – ont l'interdiction d'apprendre à lire, une raison certes expliquée mais tirée par les cheveux.
Si le propos nous invite à la réflexion, développant plusieurs points de vue, plusieurs pensées, le fait qu'il soit faussement nuancé ne me semble pas sain à montrer au public visé – les adolescents, donc –, car ils peuvent alors être influencés au lieu d'avoir des arguments équilibrés, car ceux-ci finissent inlassablement par donner raison à un parti plus qu'à l'autre. Un exemple :
Au milieu de l'histoire, Jean et Clara se retrouvent seuls. Clara commence à vanter les qualités de la monarchie à son nouvel ami, et si le débat qu'ils ont semble plutôt aller en faveur de ce régime, la jeune fille semble finalement prendre le parti de Jean après avoir pesé le pour et le contre, alors qu'elle était en bonne voie pour gagner ce débat. Tout le livre est à peu près comme cela, soit c'est le parti de Jean qui gagne sans concession, soit c'est celui de la monarchie qui l'emporte sauf à la toute fin où un ultime argument provoque un retournement de veste.
Je profite de cette espace caché pour invoquer l'un des moments ouvrant la réflexion, et rendant les personnages complémentaires car semblables : Clara est en fait elle aussi limitée malgré son confort et ses privilèges, elle ne peut pas explorer Internet comme elle l'entend et doit se rendre à des ateliers clandestins afin de discuter en ligne avec des gens du monde entier, car bien évidemment (clin d’œil) la monarchie française est un pays refermé sur lui-même et seules des informations contrôlées par l'État ont le droit de filtrer.
Un autre cliché qui m'a bien fait rire est celui de la présentation des armoiries de la famille de Clara :
Dans un chapitre se situant dans la première moitié du livre, les armoiries de la famille récemment anoblie de Clara sont donc présentées. L'auteur fait tout un foin autour de cela, expliquant même qu'il y a une cérémonie dédiée à la présentation de ces dernières. En plus de reprendre le cliché qui veut que les armoiries seraient réservées à la noblesse, ce qui est dommage surtout dans un ouvrage qui fait de nombreuses références historiques, tout ce qui entoure cet élément symbolique est exagéré (heureusement, Clara n'a pas un nom à particule, ça aurait été le pompon). De plus, la forme rédigée de ces armes (le blason) est erronée, héraldiquement mauvaise. Si vous me permettez l'expression, "ça la fout bien!" Bien sûr, cette cérémonie pourrait être une conséquence de cette uchronie, mais le cliché est tellement poussé que ça en devient ridicule.
Une dernière critique est celle du public visé. Cette première édition nous informe sur la première de couverture qu'il s'agit d'un livre destiné à la jeunesse, ce qui il me semble a disparu dans l'édition de poche ainsi que dans le troisième tome de l'histoire. Heureusement que je n'ai pas lu ce livre à sa sortie! Si le style est effectivement plutôt simple, je suis convaincu que j'aurais eu certaines difficultés avec quelques mots, et quoi de plus embêtant que de devoir interrompre sa lecture pour aller chercher une définition, surtout quand on lit, comme moi généralement, le soir dans son lit?
J'ai trouvé par un heureux hasard les deux tomes suivants à un prix ridiculement bas il y a quelques temps, et j'ai hâte de les lire. Toutefois, il faut faire attention au léger biais idéologique que l'ouvrage, qui semble de prime abord peser le pour et le contre, semble en fait avoir ; ainsi qu'aux inexactitudes (hors bien sûr du cœur de l'histoire, c'est à dire l'uchronie, dont il serait improbable de se plaindre). Il reste très sympathique (excellent me semblant être un mot trop fort pour le décrire), même si les stéréotypes utilisés sont ridicules. Destiné à la jeunesse? Certainement pas. Une lecture légère, rapide, et agréable, en ayant tout de même du recul sur ce qu'on nous raconte, là je dis oui.