« Le bébé est mort ». Première phrase, quatre mots et le ton est donné. Le premier chapitre est d’une indicible violence, la suite du roman d’une profonde humanité. Le lecteur, omniscient et impuissant, assiste au déroulement de l’histoire en en connaissant le dénouement. C’est cruel, implacable, irréversible.
Sous la plume de Leïla Slimani, le personnage à deux visages de Louise se dessine. C’est qu’elle échappe à toute interprétation, la nounou, elle fuit, se faufile et personne ne parvient à la cerner. Certains événements de sa vie apportent une lumière mais autant d’ombres avec elle : un mari ombrageux et médiocre, une fille encombrante qui, par contraste, s’enfuit un jour sans dire un mot. Et Louise, spectatrice de tout, spectatrice de sa vie et de celle des autres, elle qui observe, qui voit et qui se fond dans l’autre comme elle peut. Qui s’immisce dans les foyers parce qu’elle n’a pas d’autres choix. Louise et sa solitude, atroce. Louise et sa pauvreté, et ses envies de tout ce que les autres ont et qu’elle n’a pas.
Cette Louise-là s’émerveille des possessions d’autrui (maison, vacances, enfants) et demeure d’une indifférence pathologique à l’égard de sa propre vie. Face à elle-même, elle reste imperturbable, les yeux fixes et sombres, froide comme une statue. La mort de son mari ne la touche pas, non plus que la disparition de sa fille ; elle rencontre Hervé et n’envisage même pas de construire sa vie avec lui. Tout cela pour Louise n’existe pas, elle est dans un processus d’existence différée, un circuit fermé qui la contraint à ne vivre qu’à travers ses patrons. Le lecteur sent déjà dans ce fonctionnement les prémices du drame final.
L’histoire de Louise, comme celle de son amie Wafa, est une histoire qui ne se raconte pas, qui n’appartient qu’à Louise. C’est l’histoire des gens que la pauvreté et la solitude ne permettent pas d’avoir une identité. Le lecteur sait ; jusqu’au bout, il est le seul « complice » de Louise, le seul qui pourrait témoigner des raisons de son geste. Pour tous les autres personnages, la nounou est jusqu’au dernier chapitre un mystère.
Chanson douce, ou quand la douceur du foyer familial se transforme insidieusement en huis-clos dramatique. Myriam et Paul, les parents, travaillent tous les deux. Ils aiment leur travail, ils aiment leur vie, et progressivement ne peuvent plus se passer de Louise qui leur permet de vivre ainsi qu’on l’aimerait tous, sans les contraintes du domestique. Petit à petit, elle s’impose. Myriam et Paul recadrent comme ils peuvent, mais ils ne peuvent et ne veulent se mettre dans la peau de Louise. La pauvreté effraie, met mal à l’aise, dérange ; ils ne veulent pas la voir. Ils ne veulent pas imaginer qu’au-delà de l’employée, c’est une femme qui se tient devant eux.
La plume de Leïla Slimani est discrète, d’une simplicité appréciable qui laisse au lecteur la liberté d’habiter le roman. Un point me gêne dans ce roman, un seul : la conjugaison. Celle-ci m’a déboussolée, on passe du présent à l’imparfait au passé composé, de manière impromptue et pas forcément justifiée, ce qui gâche la fluidité du récit.
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