De ce roman, il n’y aurait pas grand-chose à dire si c’était simplement du bon Lola Lafon. Cette fois cependant il y a du changement, et en bien.
Ce que j’apprécie chez Lola Lafon, c’est d’abord les personnages. Des êtres perdus, au bord du gouffre, se lançant dans des expériences à première vue extrêmes, mais toujours racontées avec humanité. Une quête qui n’a pas vraiment de début, mais qui se reconstitue morceau par morceau, comme on se relève d’un traumatisme étape par étape et que l’on y revient pour réimaginer le scénario. C’est le plus souvent ainsi que ça se passe, le livre se construit autour d’une introspection pendant laquelle le personnage principal reprend goût à la vie après avoir subi les chocs que la société lui inflige soit sur son apparence, soit sur son comportement.
Et bien sûr, il y a toujours une fin aigre-douce.
Ce qu’elle nous a habitué à lire aussi, c’est un style pensé parfois retravaillé dans la typographie. Des mots pour faire des phrases, des phrases sans verbe, des capitales, des phrases en italiques, en gras, etc. Des chapitres courts, très courts, et d’autres plus long, où l’on retient son souffle.
De tout cela, Lola Lafon s’est un peu affranchie pour son nouveau livre. Car l’histoire de Cléo n’est pas seulement racontée de son point de vue, mais aussi de celui d’onze autres personnages. Ici il s’agit moins pour elle de se retrouver que pour nous de la reconstituer par morceaux. Et chaque fois, ce sont les personnages qui sont sidérés par cette fille, devenue femme, qui brille d’une énergie si différente de la leur, qui n’a pas l’air de voir aussi bien qu’eux parce qu’elle ne se met pas au même niveau. On a donc le livre d’onze étonnements, d’onze personnages qui cherchent à comprendre ; et nous, lecteur voyeur, qui savons, nous les regardons chercher, mais pas comme des voyeurs, plutôt comme des spectateurs qui savent que la vérité petit à petit va surgir.
Cléo, la danseuse de revue, celle qui veut nous montrer tout ce qui se cache derrière les paillettes des génériques des émissions de télévision, la jeune fille traumatisée, qui a échappé de peu à un système de pédophilie, Cléo est un très beau sujet qui a parfaitement été rendu à la vie par l’auteure. Que l’auteure soit nominée pour le prix Goncourt n’a rien d’étonnant, puisqu’elle livre un roman plus traditionnel, plus classique dans sa forme, tout en gardant les motifs qui lui sont chers. Qu’elle soit nominée est déjà une victoire, et la preuve que travailler un livre sur le temps est le seul moyen de réussir un résultat respectable, digne de rester dans le temps.