En phase avec la révolution égyptienne, 4 ans avant, et bien mis en valeur au théâtre par Martinelli
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le 7 oct. 2011
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La première fois que j'ai tenu le roman Chicago d'Alaa El Aswany, j'ai été intriguée par sa première page. J'ai quitté la librairie sans le livre... mais cette lecture m'a poursuivie et hantée. J'étais piquée de curiosité pour ce récit traduit de l'arabe égyptien, débutant par un mélange d'étymologie, d'histoire, de souci de justice et surtout, par le paradoxe posé entre les crimes des colons et leur ferveur religieuse. Il fallait que je lise ce livre.
Chicago, peu de gens le savent, n'est pas un nom anglais. Il appartient à la langue des Algonquins, une des nombreuses que parlaient les Indiens d'Amérique. Dans cette langue, Chicago veut dire « odeur forte ». Cette dénomination vient de ce que l'endroit aujourd'hui occupé par la ville était à l'origine un vaste champ consacré à la culture des oignons. Pendant des dizaines d'années, les Indiens vécurent en paix à Chicago, sur les rives du lac Michigan, cultivant les oignons, menant paître le bétail jusqu'à l'année 1673 où arriva dans la région un explorateur et cartographe, Louis Joliet, accompagné de Jacques Marquette, un jésuite français. Les deux hommes découvrirent Chicago, vers laquelle se mirent aussitôt à affluer des milliers de colons, comme des fourmis sur un pot de miel. Pendant les cent années suivantes, les colons livrèrent dans tous les coins de l'Amérique d'atroces guerres d'extermination au cours desquelles périrent entre cinq et quinze millions d'Indiens. Il faut nous arrêter sur un paradoxe : ces colons blancs qui ont tué des millions d'Indiens, qui se sont emparés de leur terre et qui ont pillé leur or étaient en même temps des chrétiens convaincus. (incipit, chapitre 1)
Après six pages sur une brève histoire de Chicago, le premier chapitre présente un des personnages principaux, celui le plus attachant, Cheïma Mohamedi. Docteure en médecine, elle est une jeune femme à l'intelligence exceptionnelle, qui travaille sans relâche, sensible, déterminée et courageuse. Pour tous ses mérites et ses capacités hors du commun, elle a obtenu une bourse pour le département d'histologie (la science des tissus) de la faculté de médecine de l'université de Chicago, Illinois. Étrangement, malgré ce qui précède, le premier chapitre s'achève avec beaucoup d'humour... et la joie que procure la perspective de lire les trente-neuf chapitres suivants.
Au département d'histologie nous rencontrons certains des nombreux personnages du roman, les autres en relation avec les premiers. L'histoire dramatique de chacun constitue un fil dans le récit, l'ensemble de ces fils se croisant pour constituer Chicago.
Grâce à la multitude de personnages, tous différents, passionnants, passionnés, Alaa El Aswany élabore une mosaïque de l’Égypte contemporaine, qu'il critique avec justesse et intelligence. Chaque personnage s'exprime et par son caractère, ses actes, sa voix laisse apercevoir une facette de l’Égypte moderne, où règnent, selon les mots de Zeïneb :
la répression, la misère, l'oppression, la perte d'espoir en l'avenir, l'absence de tout objectif national. Les Égyptiens ont perdu espoir en la justice sur cette terre et ils l'attendent dans l'au-delà. Ce qui se répand maintenant en Égypte, (c'est) une dépression nerveuse collective, accompagnée d'exhibitionnisme religieux. Ce qui a aggravé les choses, c'est que les millions d’Égyptiens qui ont travaillé pendant des années en Arabie Saoudite en sont revenus avec des idées wahhabites et que le gouvernement a soutenu la diffusion de ces idées qui le renforçaient. Le rite wahhabite interdit de se soulever contre un dirigeant musulman, même s'il opprime les gens. La seule chose qui préoccupe les wahhabites, c'est de recouvrir le corps de la femme. » (chapitre 32, p. 352.)
En Égypte les manifestants sont battus et emprisonnés alors que les manifestations se généralisent. Les policiers font subir des agressions sexuelles aux manifestantes. Il faut lutter contre cela, se répètent certains personnages. Alaa El Aswany dénonce la toute puissance politique des despotes religieux. En Égypte, le combat à mener pour le peuple n'est pas religieux, il est politique.
« - Même si vous voyez des aspects négatifs dans la façon de gouverner de son Excellence le Président, votre devoir religieux est de lui obéir, (affirme Danana).
- Qui dit cela ? (demande Nagui.)
- L'islam. Il y a un consensus chez les docteurs en religion pour stipuler l'obligation pour les musulmans d'obéir à leur dirigeants, même s'ils les oppriment, aussi longtemps qu'ils attestent qu'il n'y a de Dieu que Dieu et que Mohamed est son Prophète, et qu'ils font la prière aux heures prescrites. La sédition qui résulte de la lutte contre les dirigeants est beaucoup plus dangereuse que l'oppression pour la communauté des croyants.
- Ce discours n'est absolument pas celui de l'Islam, c'est celui qu'ont forgé les théologiens de cour en se servant de la religion pour renforcer les régimes despotiques. » (chapitre 9, p.119)
Le chapitre 25 est celui consacré aux tortures, aux méthodes pratiquées, encouragées, applaudies en Égypte pour « cuisiner » les opposants politiques et leur arracher les aveux désirés. Certains passages sont quasi insoutenables, la torture ne se limite pas au corps du malheureux, mais à son mental.
Alaa El Aswany n'oublie pas, loin de là, le sort de la femme égyptienne, opprimée, méprisée, humiliée, déconsidérée.
Elle détestait la façon de son mari de s'accoupler avec elle. (…) Il sautait sur elle, tout d'un coup, en érection, comme font les adolescents avec les bonnes à tout faire. Cette façon de procéder grossière lui causait de la panique, de la tension nerveuse et une sentiment d'humiliation, en même temps qu'elle lui produisait des ulcérations douloureuses. Un soir, elle fit allusion à ce problème, tout en évitant par honte de le regarder en face, mais il se moqua d'elle en riant, avec une sorte de fierté : (…) « Crains Dieu, Maroua, prends garde à la punition de Dieu, qu'il soit glorifié et exalté. Ce que tu fais (fuir l'intimité de Danana) est un péché selon la loi religieuse. Tous les oulémas partagent cet avis. Le prophète, prière et salut de Dieu sur lui, a dit dans un hadith : la femme qui refuse son lit à son mari sera éternellement en proie à la malédiction des anges.» Danana était allongé devant elle dans le lit et elle était debout devant lui en chemise de nuit. La colère s'empara d'elle et elle lui jeta un regard de haine et de dérision. Elle faillit répondre que ce n'était pas possible que l'Islam contraigne les femmes à vivre avec des maris répugnants comme lui et que le Prophète, prière et salut de Dieu sur lui, avait ordonné le divorce d'une femme, simplement parce qu'elle n'était pas heureuse avec son mari. » (chapitre 8, p.96)
Un peu plus loin :
« La femme brisée par la pauvreté et les épreuves, lasse de lutter sur plusieurs fronts à la fois, ayant totalement perdu l'espoir de retrouver une vie normale, devant faire face à la privation et la convoitise des hommes, contrainte à lutter quotidiennement pour nourrir ses enfants, cette femme est comme un soldat assiégé, épuisé, quelques minutes seulement avant sa reddition. (…) La façon dont Safouat l'agresse lui procure une profonde jouissance qui n'a pas tant sa source dans le sexe qu'elle ne jaillit du fait qu'elle est définitivement libérée de sa dignité. Il prend soin de l'humilier. Il la possède et la méprise, et ce mépris parvient au plus profond d'elle-même, car elle le mérite. Elle est une putain et n'est pas digne que quelqu'un se comporte délicatement et respectueusement envers elle. » (chapitre 25, p288)
Le chapitre 12 est terrible, la violence faite aux femmes et leur viol sont décrits comme éléments justes, de la bouche de l'immonde Danana, invoquant des principes de l'Islam ; selon lui la femme est imparfaite en intelligence et en religion, il faut la guider, la soumettre, la dominer à tous les niveaux, ne jamais lui faire confiance. Malheureusement, même la famille va en ce sens, la femme est isolée et privée de tout ce qui fait d'elle une personne humaine. Rien ne lui appartient, pas même son corps.
Alaa El Aswany ne se limite pas à blâmer et à condamner la situation en Égypte et toutes les atrocités de son régime despotique, il examine aussi les travers des États-Unis grâce au couple de Carol Mac Neilly – John Graham. La morale bourgeoise est désapprouvée, mais aussi et surtout la haine des Américains Noirs et la discrimination raciale qui en résulte sont longuement abordées. L'histoire de Chicago est de nouveau évoquée au chapitre 17 :
« Dès la fondation de Chicago, l'émigration des noirs avait été ininterrompue. Des centaines de milliers avaient fui l’esclavage dans les États du sud et y étaient venus, poussés par le rêve de devenir des citoyens libres, dotés d'une existence et d'une dignité. (…) Ils découvrirent rapidement qu'ils avaient échangé les chaînes de l'esclavage contre d'autres chaînes invisibles mais aussi dures ».
Un des autres thèmes développés dans Chicago est l'arrachement de ces intellectuels à leur terre natale, leur condamnation à vivre toute leur vie en exil, soumis au racisme dans leur pays « d'adoption », incompris et traités en lâches par ceux restés en Égypte.
Finalement, Chicago est un livre bouleversant, révoltant, un manifeste pour l'égalité et la liberté de tous et de toutes, un rappel de ce qui se passe à côté de chez nous, tout près de nous. Il peut faire penser à la citation de Simone de Beauvoir :
Cheïma et Maroua ne sont pas seulement musulmanes, Carol n'est pas seulement noire... Elles sont femmes, c'est leur peine première, cristallisant haine, dégoût, cibles éternellement méprisées et rabaissées.
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Créée
le 2 mai 2017
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le 7 oct. 2011
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J'étais eu peu déconcentrée par ce livre car je ne connais rien à l'Égypte. Comment ce livre sur le bigotisme religieux, la tyrannie, la peur, le conformisme, l'isolement, la violence et la torture...
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le 11 nov. 2010
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J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la variété de ces égyptiens. Les personnages, leurs contradictions, leurs forces et leurs subtilités sonnent très justes, et révèlent très bien les tiraillements...
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