Laurent Gaudé s'attaque à deux genres littéraires, la dystopie et le policier. Je m'attendais à lire 280 pages bien écrites mais convenues, déroulant les clichés de ces deux genres, en somme j'escomptais essentiellement valider la reprise des codes qu'en offrirait le romancier ; le plaisir alors? Indéniablement, ces très belles pages réservent de vraies surprises [que je n'entends pas ici dévoiler...], surprises qui éloignent l'œuvre des seuls Thème et Variations.
La grammaire dystopique de Gaudé est sombre à souhait, bien renseignée et ne déçoit pas : la démocratie dévoyée d'un super-État, la ghettoïsation en trois zones, les basses œuvres de la police politique, la pollution acide, la médecine de pointe réservée à quelques ultra-privilégiés, les allusions aux vicissitudes de notre Histoire, etc. [La liste en est longue et tout en révéler gâcherait assurément votre découverte.]
Le héros ? Zem Sparak, un policier des bas-fonds, un flic qui flaire : un « chien ». Emporté dans une enquête criminelle, il doit seconder sa supérieure hiérarchique, Salia Malberg. La spirale infernale de cette enquête -de ces enquêtes...- réserve de belles surprises narratives jusqu'à l'excipit, [mais... chut].
Cette humanité triste, sordide, pose les questions de l'identité, du Droit, du choix, des destinées ; elle est reflétée par de très beaux personnages, variés, déracinés, émouvants ou cyniques, souvent passionnants comme le vieux Tobo : « Tout parle chez nous, dit-il avec un air de prophète. Les canettes qui roulent sur les trottoirs, les rats qui fouillent les poubelles, les vieux cartons abandonnés au pied des immeubles, tout. Ça s'agite et remue. Ici, la loi, c'est le tourment. Il faut plonger dans la boue pour embrasser la vérité. Fracas... Fracas !... Tu verras. Même avec les yeux fermés ! » (p.82)
Prenez plaisir à l'écriture de L. Gaudé ainsi qu'à la découverte de GoldTex, Ira, Dreamshop, Destiny, Kanaka, Magnapole, BreakWalls, autant de noms qui pour l'heure ne vous évoquent rien...