À lire en laissant tomber la nuit.
C'est quand même particulier, un Modiano: il s'y passe strictement rien, on s'emmerde, et pourtant c'est bien plus nourissant qu'un quelconque roman d'aventure/amour/horreur/SF/rayez la mention inutile.
Ici, le narrateur/auteur s'attache à nous dresser un portrait vacillant d'un photographie oublié de tous. Un personnage oublié qui veut se faire oublier, coupant ses contacts avec le monde extérieur, devenant peu à peu un être fantomatique, ne se rattachant au monde que par ses photographies, qu'il ne prend presque plus d'ailleurs, et dont il se détache également. Le seul lien qui semble le rattacher au monde et l'encre définitivement entre ces pages, c'est l'auteur: l'auteur qui, découvrant ces trois valises de photographies à l'abandon dans un atelier vide, décide tout à coup de les classer, de les répertorier, par date, par lieu, par ordre alphabétique. L'auteur qui cherche à découvrir le passé de cet homme (comme à son habitude, Modiano marche à travers Paris et le temps avec ce regard si indiscret qu'on lui connait bien).
Puis finalement, le photographe disparait, ses photographies aussi, pour la plupart. Alors peu à peu le lecteur se questionne: a-t-il vraiment existé? n'étais-ce donc qu'un fantôme errant près du narrateur? Et puis, au fil des pages on réalise que Modiano, lui aussi, tend à se dématérialiser, tend à disparaitre.
L'objet de ce roman, la photographie, et le style même de Modiano, semblent fixer les souvenirs de façon à ne rien oublier. Pourtant tous les personnages semblent désireux de se perdre, d'oublier, justement, de s'oublier même. Époques et lieux semblent se confondre, les corps deviennent flous, l'âme elle même des personnages disparait. Peut-être l'écriture de Modiano reflète-t-elle cela: cette amnésie contre laquelle il lutte, ce côté éphémère des choses rendues immortelles par l'écrit ou la photographie (mais de quel droit?).