Le roman noir américain a trois figures mythiques. Trois détectives privés qui ont littéralement transformé l'imaginaire autour du genre. Sam Spade, limier cynique mais droit né de la plume d'un Dashiell Hammett brut comme la pierre. Puis Philip Marlowe, silhouette désabusée et aérienne immortalisée par le romantique Raymond Chandler. Puis un outsider pointa le bout de son nez, cadet de ses deux modèles d'une bonne dizaine d'années : Lew Archer.
L'auteur Ross Macdonald ne jouit pas de l'aura prêtée à ses deux illustres collègues, il a néanmoins su apporter un style entre le romantisme d'un Chandler et la sophistication d'un Hammett. Macdonald se singularise par son intérêt dans la psychologie des protagonistes, et un goût prononcé pour les dialogues chargés en traits d'esprit ou en humour grinçant. Archer est un sensible qui s'ignore sous ses travers effrontés. Le personnage gagne notamment en complexité au détour d'un dialogue où il admet ses penchants anticonformistes, progressistes voire idéalistes.
Cible mouvante se construit par à-coups, alors que les vrais visages se révèlent. L'intrigue s'en retrouve complexifiée. Ce qui joue un peu contre elle, car le mystère se drape de plus en plus d'inconnues jusqu'à ce qu'on en perde un peu le fil entre qui a fait quoi et quel est le rapport entre tel et tel évènement. Je tire de là une certaine frustration, quand Chandler et surtout Hammett gardaient toujours un horizon clair. Cependant, difficile de ne pas être charmé par Archer qui tel un grain de sable enraye les machinations.
Sans être emballé par sa première aventure, je ne peux nier la réussite de Lew Archer. Il n'a pas volé sa place sur le podium des détectives privés cultes. Comme eux, il arrive au sommet de ce genre littéraire avec panache mais sans illusions sur ce petit monde pourri par le stupre, la manipulation et la mauvaise conscience qu'il regarde en biais pour mieux en percer les vilains secrets.