Bon. Dans cette critique je vais essayer de décider si je mets un bleu ou un rouge à City.
Certains épisodes sont très drôles, très contemporains ; ça pourrait être des sketchs. Baricco se fout de la gueule d'un peu tout, surtout des universitaires et de la branlette intellectuelle (ah les Nymphéas ! ah les vérandas !), mais pas assez largement. Je veux dire que la portée de ses petites satires est assez limitée (c'est soit elles soit moi, nécessairement. Oups). C'est drôle sur le moment, mais finalement parfois un peu long et on passe vite à autre chose. Ce qui m'a gêné, surtout, c'est que la narration en pièces invite à (sur)interpréter tout et n'importe quoi : tout le baratin des professeurs de Gould, les récits parallèles (boxe, western) comme des allégories de la narration-mère pour mieux la comprendre bla, bla. Ce genre de vigilance voire méfiance constante à l'égard de tout ce que le texte pourrait vouloir dire, ça me fatigue et ça me frustre (parce que bien sûr je ne trouve pas).
L'univers déployé, des comics au western en passant par la boxe et les péripéties d'un gamin et de sa gouvernante atypiques, est plutôt attrayant. Mais j'ai eu l'impression que le récit ne me concernait pas, que c'était un objet assez intéressant et... que je le regardais, qu'il ne m'incluait pas, qu'il ne rayonnait pas sur moi, que ce n'était pas le but de Baricco.
Pourtant, beaucoup de bonnes ou belles idées : le vent à Closingtown, l'histoire géniale du shérif, Gould et son rêve d'être un enfant... pas mal de choses qui ont, en fait, failli me toucher. Mais la manière dont la narration est menée a agi comme une vitre teintée, enfin je ne me suis jamais senti concerné par les sentiments des gens. Au fond j'ai bien senti qu'il y avait à gratter, que toute cette histoire servait aussi à reconstituer l'architecture mentale de Gould, par transpositions, par une série d'écrans de fumée dont le lecteur est plus (la boxe, Diesel et Poomerang) ou moins complice ; en présentant à la fois le regard intérieur (tout ça donc) et le regard extérieur (Shatzy) : les moments où ils se confrontent, ceux où ils entrent en résonance... okay, l'architecture du roman est vraiment bonne, on se sent facilement dans la tête fumante de Gould... et paradoxalement j'ai parfois eu l'impression d'un premier jet, qu'il s'était lancé dans ses trois récits et advienne que pourra, on verra comment relier ou allégoriser tout ça le moment venu. Pour couronner le tout, j'ai eu l'impression que le livre n'avait pas besoin de lecteur. J'imagine que Baricco a voulu qu'on s'amuse, sauf que contrairement y a pas eu de jouissance participative. Rabelais gagne.
Au fil de la lecture j'ai kiffé Kilroy, qui m'a fait penser à Beckett. Il est aussi sombre et sadique-anal que Beckett. La chose qui m'a touchée, c'est la fin de la narration concernant Gould (pas l'épilogue) : enfin une expression des sentiments claire, univoque, même si (parce que ?) c'est en sourdine. On a eu auparavant sous les yeux toutes les pistes nécessaires, hop, ça marche, on sent l'humain derrière, bim oh petit Gould on t'aime.
Je garde de ce bouquin l'impression que c'est un hommage parodique à tout ce qu'aime Baricco. L'épitaphe à la fin du chapitre 34 est super représentatif : le truc archi éculé du mélange sérieux/plaisant, à mon sens ça n'apporte strictement rien au récit et, de fait, ça le dessert. Les passages du western sont pas mal mais ils ne s'émancipent pas d'un hommage en bonne et due forme, d'un élégant coup de chapeau.
Si City n'a rien à cacher, pas de lecture à huit niveaux en cercles inversés, alors c'est une bonne petite marmite de choses sympathiques, portées tour à tour à ébullition, malgré un effort narratif qui je trouve n'a pas beaucoup de sens et des dialogues qui pédalent parfois dans la semoule. Pas marquant mais sympa. Si les cercles inversés sont là, je trouve ça un peu pédant, trop ambitieux vu le résultat, « honnête ». Bon, je pense que City n'a rien à cacher.
Si je résume l'effet que m'a fait City : ça m'a donné envie de faire de la boxe, ça m'a montré pour longtemps le comique des promos des fastfoods, ça m'a un peu ému (l'évolution du personnage de Gould), ça m'a souvent amusé. J'ai trouvé soit pédante soit vaine cette façon qu'a Baricco de déconstruire sa narration, en tous les cas je n'en ai pas vu la légitimité. Bref, sa très grosse tambouille ne m'a pas enthousiasmé. Gros ragout qu'on est content de préparer entre potes et d'avaler au fil de marrades diverses, mais qui se conclut par un « ok c'était cool ! enfin un jour faudra quand même apprendre à cuisiner les gars ».
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