Incas d'école
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Il suffit parfois d'infimes détails pour que l'Histoire change radicalement de cours. Imaginez que les Incas, immunisés du virus de la grippe et maîtrisant les arts de la navigation, du fer et de l'équitation (grâce à une excursion des Vikings au début du premier millénaire), aient décidé d'envahir l'Europe en plein XVI° siècle.
A travers une uchronie brillante et savante, Laurent Binet nous raconte cette folle histoire d'une mondialisation inversée dans laquelle la civilisation européenne aurait été confrontée et profondément déstabilisée par l'arrivée d'un homme plein d'audace, Atahualpa, qui parviendra à poser sa marque dans ce continent traversé par les guerres de territoire et de religion.
Dans un style vivant et désinvolte, empruntant avec talent aux genres littéraires de l'époque (le conte, le journal de bord, la chronique historique, l'échange épistolaire ou encore le roman d'aventure), Civilizations conduit le lecteur de surprise en surprise. Sans jamais tomber dans le catalogue, le récit jongle avec les événements majeurs de la Renaissance et ses grands noms en les mélangeant et distordant avec cette réalité alternative.
Loin d'être un simple exercice de style, le roman de Laurent Binet est une fable politique qui possède une véritable profondeur philosophique. Atahualpa s'inscrit en effet dans la lignée des conquérants bâtisseurs et impose des réformes disruptives pour l'Europe du XVI° siècle : partage équitable des terres, abolition de toute fiscalité, liberté et tolérance religieuse. Des réformes qui ne manqueront pas de provoquer des débats politiques et théologiques passionnés et passionnants parmi les sages de l'époque.
Civilizations est ainsi un récit vivant, original et intelligent qui peut être lu comme un roman historique d'aventure et interprété comme un fable philosophique pas si absurde que cela.
" Pour nous qui les contemplons longtemps après que l'histoire du monde a rendu son verdict, les augures semblent toujours d'une clarté implacable. Mais la vérité du présent, quoique plus brûlante, plus bruyante et pour tout dire plus vivante, s'offre bien souvent dans une forme plus confuse que celle du passé, ou parfois même de l'avenir ". (p. 75)
" Toujours le jeune souverain trouvait, sinon un but qui les ferait s'oublier eux-mêmes, une destination, une direction, une impulsion qui fédérait ses troupes et leur donnait l'élan et la force, si bien que jamais ce voyage impossible, inconcevable, qui les avait menés d'abord aux portes de Cuzco pour mieux les en éloigner ensuite, leur faisant tâter le nombril du monde avant de les envoyer jusque dans ses confins, n'avait complètement basculé dans l'errance pure ". (p. 128)
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Créée
le 12 oct. 2019
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