"Honey," Jammer said, "you'll learn. Some things you teach yourself to remember to forget."
Voilà, j'ai fini de lire « Comte Zéro ». Suite de l'estimé « Neuromancien », cet opus s'organise autour de trois personnages centraux : Turner, mercenaire fraîchement remis d'un attentat contre sa personne, se retrouve engager pour l'exfiltration de l'inventeur de la biopuce, une nouvelle technologie sur le marché. En parallèle, Bobby Newmark, tout jeune hacker banlieusard jusqu'au bout des doigts, meurt durant une passe, au prise avec une glace noire de l'extrême, et se fait sauver au dernier moment par une étrange et messianique rencontre dans la matrice. Enfin, Marly Krushkova se remet de la disgrâce dans laquelle elle est tombée en travaillant pour l'énigmatique Josef Virek, l'homme le plus riche du monde, mort-vivant fortuné surnageant dans l'opulence devenue indépendante de ses volontés. Tout ce beau monde est bien entendu lié par un mystère qui les dépasse (et dépassera sans doute tout lecteur n'ayant pas, au préalable, lu le Neuromancien).
Que dire ? Déjà, le premier chapitre donne le ton, un bon ton, même, avec une entrée en matière à l'ancienne, rapide, désabusée, qui rappelle pourquoi on aime le cyberpunk. Toutefois, dès l'introduction finit, on part dans l'histoire et là, ça devient très brouillon. Au-delà de la narration un peu trop factuelle qui fait régulièrement ommettre un détail de l'intrigue, les évènements s'enchaînent et les personnages sont parfois tellement bringuebalés et dépassés qu'ils donnent l'impression très nette de ne rien faire. Une impression d'autant plus désagréable que le lecteur risque fort de se la traîner tout le long de l'histoire jusqu'à sa conclusion où l'on découvre qu'au final, non, ils n'auront pas foutu lourd ! Etrange, mais finalement, l'essence du cyberpunk n'est pas de mettre en avant des personnages surdoués se sortant de toutes sortes de dangers, autant c'est un peu regrettable de ne constater qu'ils n'auront eu qu'un poids relativement négligeable sur le cours des choses.
En fait, l'étrangeté de « l'effet Comte Zéro » ne se révèle que bien après la lecture. Car finalement, au gré du récit, on se rend compte que, malgré l'absence de descriptions fréquentes, le narrateur n'égare jamais son lecteur. Au pire des cas, oui, on passe parfois à côté d'évènements, mais le tout fonctionnant comme un grand engrenage, rapidement, on réalise ce qu'il se passe. Non, cet effet-là naît essentiellement du fait que l'univers – visionnaire – de Gibson ne prend pas une ride : à ce point qu'on reconnaît parfaitement les emprunts qui lui ont été faits à peu près tout le temps. La particularité de l'oeuvre de Gibson fonctionne sans doute là-dessus : le temps joue en sa faveur – pour l'instant – et génère une intertextualité qui la grandit au lieu de l'affaiblir. J'ai retrouvé dans la critique d'un collègue, sur ce même site, l'épisode de Cowboy Bebop largement inspiré du périple de la dernière partie du périple de Krushkova. L'univers cyberpunk s'est tant nourri des fictions de Gibson qu'on en vient à avoir tout un système référentiel qui permet largement de saisir les éléments que l'auteur distille.
L'intrigue, si elle prend réellement forme sur la dernière partie, est plutôt intéressante et rappelle, l'air de rien, des séries plus récentes qui s'en sont inspirées. Suite plutôt indirecte du Neuromancien, elle n'en demeure pas moins liée d'une façon inextriquable et fascinante et prolonge les conséquences du premier roman. Prenant place sept à huit ans après l'aventure de Case, ne vous attendez pourtant pas à voir le hacker ou la razorgirl au premier plan, ils ont disparu et il faudra sans doute attendre le tome suivant pour en apprendre plus sur leurs destinées.
En définitif, difficile d'être réellement objectif : malgré ses indubitables faiblesse, il n'en reste pas moins que Gibson maîtrise son univers et ses personnages, distille cette ambiance étrange où tout le monde a l'air tellement cool qu'on en oublierait que tout le monde est à deux doigts de dégainer en permanence. Un univers – certes connu ou approché aisément dans la culture d'aujourd'hui – mais dont il est difficile pour le lecteur de disposer de l'entièreté des clés, tant parce que la narration de Gibson est floue que parce qu'il paraît perpétuellement mouvant, à l'image du notre. En pire. Et c'est tout ce que l'on demande au cyberpunk !